Depuis 2019, des jeunes de cette communauté chrétienne proposent une « cantine familiale ». Ils cuisinent chaque dimanche pour venir en aide aux personnes de la rue à Paris
Le compte y est, nous sommes à cinquante repas, on peut commencer à les disposer sous le porche. » Mireille Davienne, 46 ans, coordonne avec souplesse la petite brigade. Il est déjà presque 12 h 30. En ce dimanche ensoleillé, dans un foyer de la mairie du Ve arrondissement de Paris, sept jeunes bénévoles, membres de la communauté de Sant’Egidio, s’activent en cuisine pour offrir un déjeuner aux sans-abri du quartier. Au menu aujourd’hui : soupe bio de lentilles corail, sauté de dinde accompagné de riz basmati et champignons à la crème et, en dessert, une compote ou une crème vanillée.
Le service des plus pauvres constitue, avec la prière et la paix, l’un des piliers de la communauté fondée en 1968 à Rome par Andrea Riccardi*, alors étudiant, dans l’effervescence spirituelle qui a suivi le concile Vatican II. Les jeunes – de l’adolescence à la petite quarantaine – constituent la colonne vertébrale du mouvement. Parmi les bénévoles qui se sont levés tôt ce matin pour faire les courses et cuisiner, on trouve Diala, 29 ans, Syrienne arrivée en France il y a un an grâce au protocole de couloirs humanitaires signé par Sant’Egidio en 2017. Younès, membre de la sécurité de la mairie, a été touché par l’engagement de ces jeunes et a rejoint l’équipe. Le père Philippe, 32 ans, prêtre de Sant’Egidio à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne), un sweat sur les épaules portant dans le dos l’inscription « plus de jeunes, plus de paix » est l’une des chevilles ouvrières de cette initiative.
Une convivialité à réinventer
« La Covid a changé nos habitudes, note Mireille. Auparavant, nous partagions un repas tous ensemble dans une salle de la paroisse Saint-Séverin, ce qui était beaucoup plus convivial. Désormais, quand il fait beau comme aujourd’hui, les sans-abri doivent se contenter de déjeuner sur un banc, en face. Sinon, ils emportent leur repas avec eux. Avec la crise liée à la pandémie, nous rencontrons davantage de personnes qui font un passage dans la rue ou bien qui mendient parce qu’elles connaissent des fins de mois difficiles. »
Les sans-abri du quartier arrivent peu à peu, et forment une petite file d’attente pour récupérer leur repas et, pour ceux qui le souhaitent, un kit hygiénique. Roger, 58 ans, savoure sur son banc ce repas « cuisiné avec le cœur ». C’est un fidèle de la cantine familiale. « Dans la rue, on me donne une baguette, des croissants et je partage avec les autres. Je fais des rencontres formidables : les fidèles d’une église, des étudiants, des personnes âgées… Je refuse de voir le mauvais côté des choses. »
Un engagement sur la durée
De vraies relations de confiance se nouent entre les sans-abri et les jeunes de Sant’Egidio. Les bénévoles en font l’expérience chaque dimanche. « Au début, je ne pensais pas pouvoir m’engager au point de venir chaque semaine, dit Fatou, consultante de 36 ans. Mon travail m’accapare beaucoup. Mais je me suis rendu compte qu’il n’y a qu’avec le temps et la fidélité que l’on peut tisser des liens. Ici, je suis vraiment au service de l’autre. Quelque chose de plus fort que nous-mêmes nous anime, nous sommes décentrés et nous repartons pleins d’énergie. »
* Il a été par ailleurs ministre de la Coopération internationale et de l’Intégration entre 2011 et 2013, en Italie.
[ Romain Mazenod ]