PAIX

Que vienne un Noël de paix, où le tombeau de la violence et de la guerre sera grand ouvert. L'homélie du cardinal Zuppi lors de la prière pour la paix dans le monde

sur la place de Santa Maria in Trastevere, le 10 décembre 2024
Nous sommes au cœur du temps de l'Avent, un temps d'attente qui illumine d'espoir ceux qui sont dans l'obscurité de la tempête, un temps qui peut paraitre ennuyeux et irritant pour ceux qui sont enveloppés dans le sommeil de la résignation et l'hébétude du bien-être.
 
Il nous réveille, parce que le Seigneur vient, il ne nous laisse pas seuls, il entre dans notre condition humaine si dramatiquement fragile. Il vient pour nous faire retrouver notre force et notre grandeur, Son image cachée en chaque personne, à aimer et à respecter toujours. Chaque personne vivante attend. Le monde attend. La vie est en attente, même lorsqu'elle semble enfouie sous la peur, la tristesse, le découragement, l'amère désillusion, qui nourrissent le nihilisme.
 
Aujourd'hui, nous ressentons comme nôtre l'attente du monde qui cherche la paix et l'avenir, parce qu'il n'y a pas d'avenir sans paix. Un monde qui a besoin d'avenir parce que le souhait de chacun est que « l'aujourd'hui reste l'aujourd'hui sans lendemain, ou que le lendemain s'étende à l'infini ». La guerre, en revanche, est la fin de tout et pour tous, même si nous pensons toujours qu'elle concerne les autres, comme la mort. La guerre, avec ce qui la précède et la suit, ne s'arrête pas tant qu'elle ne trouve pas la paix. La paix n'est pas accessoire, la paix n'est pas facultative, c'est la vie, c'est la seule possibilité de vivre. On ne se sauve pas de la pandémie de la guerre. Nous entendrons de nombreux noms pour désigner cette pandémie qu'est la guerre. Cette prise de conscience, que nous ne pouvons pas nous sauver par nous-mêmes, une prise de conscience quelque peu intermittente, étant très distraits, nous la comprenons et puis nous l'oublions, comme cela s'est produit avec le Covid. Cette prise de conscience, comme ce fut le cas avec les guerres qui nous ont impliqués, les deux guerres mondiales, cette conscience devrait nous pousser à toujours pratiquer le dialogue, à éviter le personnalisme et la vanité inutiles et dangereux, les mots dangereux, en sémantique, parce qu'ils contiennent de la haine et véhiculent de la haine et de l'ignorance. Nous devrions nous entraîner à penser notre vie toujours en relation avec les autres et non pas sans ou contre les autres. Cela devrait nous pousser à lutter contre la polarisation dont nous savons combien elle contribue aux sentiments emphatiques et ignorants de la guerre.
 
Est-ce un rêve ? Un rêve de Noël ? pour des gens naïfs de rechercher la paix ? Non. C'est plutôt une folie de croire que nous jouons avec la guerre ! Et c'est la naïveté présomptueuse et mortelle de l'homme - qui veut se faire Dieu - de penser qu'il peut dominer la guerre et gagner la guerre par la guerre. La guerre submerge aussi ceux qui l'utilisent, et même le vainqueur est un perdant, a déclaré don Primo Mazzolari. Si nous ne pouvons nous sauver qu'ensemble - et ce sera le cas - la paix est l'affaire de tous et nous devons tous construire l'arche qui protège nos vies très fragiles de la tempête de la violence.
 
Jésus que nous attendons est le « véritable arc-en-ciel de Dieu, qui unit le ciel et la terre et construit un pont au-dessus des abîmes et entre les continents », a déclaré le pape Benoît. Et un morceau de cet arc-en-ciel est caché en chaque homme, et chacun de nous peut le découvrir et le donner. L'Avent nous invite à nous préparer à ce jour où, comme nous l'avons entendu, de nombreux peuples monteront sur la montagne du Seigneur, écouteront sa parole et décideront de briser leurs épées pour en faire des charrues, leurs lances pour en faire des faux. J'ai l'impression que nous pratiquons exactement le contraire ! Ils n'apprendront plus l'art de la guerre. C'est pourquoi Jésus descend du ciel, entre dans nos vies et monte dans la barque, la barque fragile de notre humanité, où nous sommes unis dans un même destin, que Jésus fait sien. Les vagues révèlent notre faiblesse, submergée par la force brutale de la violence, qui rend la vie de chacun insignifiante. Je pense que nous ne pouvons pas imaginer ce que signifie la tempête destructrice des armes nucléaires. J'ai du mal à comprendre ce que signifie le fait qu'en quelques instants, la vie de millions de personnes puisse être submergée.
 
« Nous sommes perdus ! » C'est notre prière, et nous entendons la réponse du Seigneur : « Tais-toi, calme-toi ! » La parole de Jésus délivre du pouvoir du mal, elle est plus forte que la violence de l'eau, et elle nous demande à tous d'être des hommes et des femmes de foi. La prière se fait demande afin que le bruit de la guerre se taise, que la tempête de la guerre s'arrête. La prière n'est pas le dernier mais le premier choix, car la prière devient alors mémoire, solidarité, acceptation, intelligence, désarmement des paroles et des gestes violents, ferme conviction de rechercher la paix toujours et en tout cas. Nous devons dire que nous prions trop peu pour la paix. Nous ne sommes pas une mère qui ne réussit pas être tranquille car son enfant est affecté par la violence et exposé à la guerre. Nous sommes si souvent présomptueux en renonçant au dialogue, au point de gaspiller des opportunités et de devenir des imbéciles et des lâches, au point de ne pas savoir choisir courageusement le chemin de la rencontre qui exige de l'humilité pour comprendre et créer les conditions d'une paix sûre. Tout est possible à ceux qui croient en la paix, à ceux qui ont la foi, parce que Dieu sera avec eux, parce que le nom de Dieu est la paix.
 
Dans la tempête, nous entendons aujourd'hui le cri, la plainte, le cri de ceux qui sont menacés. C'est leur prière qui s'élève vers Dieu depuis tant de recoins oubliés du monde, mais pas oubliés par le Seigneur. La passion pour la paix naît de cette souffrance terrible, énorme, inacceptable, que Dieu fait sienne et nous apprend à faire nôtre « Un jour ici est comme mille ans », disent tous ceux qui se trouvent au combat, ou qui ne le disent pas, mais qui le vivent. La guerre est un rouage qui impose sa logique et que personne ne peut finalement maîtriser parce que la guerre dégrade même les hommes les plus justes, faisant de l'homme « un animal humain », pour reprendre les mots d'un soldat conscient de la brutalité et peut-être effrayé de ce que la guerre lui fait devenir, un animal humain. « La guerre, c'est toujours », disait un survivant.  Écoutons cette immense souffrance, faisons-la nôtre.
 
Jean XXIII, à la veille de Vatican II, a dit une phrase simple mais essentielle : « Les mères et les pères de famille détestent la guerre ». Le Seigneur accepte la douleur des pères et des mères qui pleurent leurs enfants, qui assistent avec angoisse à chaque jour de guerre. La question que nous voulons nous poser, et qui nous préoccupe, est la suivante : avons-nous fait tout ce que nous pouvions pour arrêter la tempête de la guerre ? Quelqu'un a dit un jour : « La situation qui a rendu la guerre vraiment inévitable a été créée à l'aide de mots, de mots et de mots utilisés de manière abusive. Si le pouvoir des mots est si grand, pourquoi ne pourraient-ils pas empêcher la guerre ?»
 
Nous nous préparons au Jubilé de l'Espérance. Rien n'est impossible à ceux qui croient. Nous prions afin que ce Jubilé soit une opportunité pour la paix, pour le courage du dialogue et du cessez-le-feu, pour demander à la communauté internationale d'aider à garantir les cessez-le-feu et surtout pour créer les conditions d'une paix juste. Et que la communauté internationale accepte de le permettre, en utilisant tous les instruments, que nous avons peut-être trop affaiblis. Nous n'acceptons pas que la seule façon de résoudre les conflits soit de revenir à l'ancienne méthode, celle des armes et de la force, qui est devenue terrible. Le pape François a déclaré dans la bulle d'indiction Spes non confundit : « Oublieuse des drames du passé - et nous devrions nous demander où nous avons mis notre mémoire - l'humanité subit une nouvelle et difficile épreuve qui voit tant de populations opprimées par la brutalité de la violence. Comment est-il possible que leur appel à l'aide désespéré n'incite pas les dirigeants des nations à vouloir mettre fin aux trop nombreux conflits régionaux, conscients des conséquences qui peuvent en découler à l'échelle mondiale ? - et poursuit le Pape François - Est-ce trop rêver que les armes se taisent et cessent d'apporter la destruction et la mort ? »
 
Le Jubilé nous rappelle que ceux qui deviennent « artisans de paix seront appelés enfants de Dieu » (Mt 5,9). Le besoin de paix interpelle tout le monde et exige de nous des projets concrets. - Il ne s'agit pas d'un simple souhait, loin de là : « Que l'engagement diplomatique ne manque pas », dit le pape François, « pour construire avec courage et créativité des espaces de négociation en vue d'une paix durable ».  Alors, nous le savons, il y a bien des façons d'aider la diplomatie, bien des façons de créer des espaces de négociation en vue d'une paix durable. Cela concerne en particulier l'Europe, qui est née de ceux qui ont envisagé la paix et répudié la guerre, fruit également de ses profondes racines chrétiennes. L'Europe peut-elle perdre ce droit individuel et commun qu'est le droit à la paix pour renoncer à s'unir dans la pratique de l'art du dialogue, de l'art de la vie ? La paix est l'héritage des morts et des survivants et d'une génération de personnes qui ont rêvé et construit l'Europe pour que nous apprenions à penser ensemble et non plus les uns contre les autres, ni les uns sans les autres. Ensemble.
 
Nous entendrons les noms des pays prisonniers de la guerre. Ils sont si nombreux que la liste semble interminable. Des noms qui contiennent des millions de noms de personnes. Nous allumerons un cierge pour chacun d'entre eux, car même une petite lumière est une lueur d'espoir dans l'obscurité. Et les lumières que nous allumerons sont ces candélabres de la paix qui accompagnent toute l'invocation que la Communauté de Sant'Egidio a organisée avec tant de pèlerins de la paix, dans tant de lieux de paix, avec tant d'insistance depuis 1987. Illuminons nos cœurs en devenant des artisans de paix déterminés, sans nous compromettre avec la logique du mal et de la division, sans nous laisser tromper par elle, sans la mettre sous le boisseau, en nous libérant de l'autopréservation stérile, pour faire chacun sa part, selon nos différentes responsabilités, mais chacun a une responsabilité, qui est celle de tous, parce que l'on ne peut pas être éteint.
 
Il faut se mettre en marche, choisir la paix, car, comme l'a dit Paul VI : « La paix est un devoir. Un devoir grave. Il est nécessaire de secouer les gonds de préjugés invétérés : que la force et la vengeance sont le critère régulateur des relations humaines - disait-il - ; qu'à une offense reçue doit correspondre une autre offense, souvent plus grave : « . oeil pour oeil, dent pour dent . . . » (Mt. 5 ; 38) ; que l'intérêt personnel doit prévaloir sur celui d'autrui sans tenir compte des besoins d'autrui et de la loi commune . . . Nous devons mettre à la racine de notre psychologie sociale la faim et la soif de justice, ainsi que la recherche de la paix, qui nous méritent le titre d'enfants de Dieu (Mt. 5, 6, 9). Il ne s'agit pas d'une utopie, mais d'un progrès, aujourd'hui plus que jamais exigé par l'évolution de la civilisation et par l'épée de Damoclès d'une terreur toujours plus grave et toujours plus probable qui pèse sur elle. De même que la civilisation a réussi à bannir, au moins en principe, l'esclavage, l'analphabétisme, les épidémies, les castes sociales ? Des maux invétérés et tolérés comme s'ils étaient inévitables et inhérents à la triste et tragique coexistence humaine, nous devons réussir à bannir la guerre. - et il concluait : « Le bon credo de l'humanité l'exige » Oui, le bon credo de l'humanité, de cette humanité que le Seigneur qui vient nous apprend à contempler, à voir, à comprendre... C'est le danger énorme et croissant d'une conflagration mondiale qui l'exige.
 
Nous avons un devoir singulier et personnel : être bons, ce qui ne signifie pas être faibles ; cela signifie être promoteurs du bien ; cela signifie être généreux, cela signifie être capables de briser la triste et logique chaîne du mal avec patience et pardon ; cela signifie aimer, c'est-à-dire être chrétiens ». La création, don du Créateur, nous suggère et nous impose ce devoir. Nous ne sommes pas faits pour vivre et tuer comme des brutes !
Viens Seigneur, qui apprend aux hommes leur vraie grandeur, à ne pas vivre comme des brutes, à reconnaître dans leur humanité l'image de Dieu, et tous chanteront bientôt, comme jadis à Bethléem : « Paix aux hommes qu'Il aime ». Que vienne la paix !