C’est doublement la fête aujourd’hui via Dandolo. La mensa de la Communauté de Sant’Egidio dans le Trastevere a rouvert ses portes après quatorze mois de fermeture pour cause de pandémie. En réalité, la distribution des repas auprès des hôtes habituels (sans logis, étrangers, personnes âgées pauvres) n’a jamais connu d’interruption, mais elle s’est faite en mode « à emporter ».
Enfin le portail s’est ouvert de nouveau et, à la file, respectant les distances et le port du masque, les « amis » de Sant’Egidio reviennent prendre place à table, manger avec des couverts et bavarder avec ceux qui le veulent bien. Pas plus de deux par table, en gardant les distances de sécurité. Et, surtout, vaccinés. Oui, car on n’entre ici qu’avec le « Green pass » ou le certificat de vaccination.
La plus grande partie des hôtes se sont fait vacciner dans le vaccinodrome de Sant’Egidio, qui, depuis le 6 juillet, a réussi à toucher plus de 6 000 personnes « oubliées » par les services de santé et l’administration. Il y a une petite file d’attente devant le portail : les bénévoles contrôlent les personnes qui peuvent entrer et distribuent des masques. Celles qui ne le peuvent pas ou qui ne le veulent pas reçoivent de toutes façons leur repas à emporter. La file se prolonge dans la cour sous la tonnelle, puis il y a deux grandes salles où les tables sont dressées (150 places à plein régime) et qui donnent sur la cuisine. Les bénévoles servent à table le menu d’un jour de fête : lasagnes, poulet rôti, ratatouille, banane et tarte. Ici hôtes et bénévoles se connaissent. Aujourd’hui, c’est la journée des retrouvailles : on se salue et on bavarde.
Il y a Renato, argentin aux origines sardes, toujours aussi distingué. Après avoir longtemps dormi dans la rue, il a été hébergé dans la petite église du Bon Pasteur, rouverte après plusieurs décennies de fermeture afin d’offrir un toit aux sans domicile comme lui. Aujourd’hui il partage l’un des appartements que Sant’Egidio loue pour vingt-cinq personnes comme lui, grâce au projet Housing first financé par Cisco, la multinationale spécialisée dans les réseaux de communication. Une solution élaborée avec une attention particulière portée aux parcours d’accompagnement par les bénévoles, pour amener les hôtes à une situation de travail et d’autonomie.
Soixante-dix autres personnes sont hébergées dans des hôtels avec lesquels la Communauté a signé une convention. Par solidarité et un peu par nécessité, du fait de la crise qui affecte le tourisme.
Il y a Alain, camerounais, physique de rugbyman et maillot vert jaune rouge de l’équipe nationale de football, une grande croix autour du cou. Il redemande des lasagnes : « c’est la quatrième ration, soupire la bénévole, mais c’est seulement parce qu’aujourd’hui c’est la fête ». Et il y a Bajab, libyen, qui s’est retrouvé à la rue après sa séparation avec son épouse italienne. Il regarde autour de lui, confus et heureux : « C’est la première fois que je viens ici ; tout est bon et ils sont si gentils... ».
Aujourd’hui il y a aussi Marco Impagliazzo. Le président de la Communauté de Sant’Egidio distribue salutations et sourires. « Oui, c’est un jour de fête. Ces personnes, explique M. Impagliazzo, peuvent revenir manger assises à table, et non plus dans la rue. Pour se reposer et parler entre elles et avec nous, respirer une atmosphère de famille et de chez soi. Mais c’est aussi un jour de fête en raison du Green pass délivré à ces personnes, qui permet à tant de femmes et tant d’hommes fragiles de réintégrer la société civile, la vie communautaire de la ville. Nous avons réussi à faire réapparaître, pour les vacciner, un grand nombre de personnes qui seraient probablement restées en dehors de la campagne. Un bien pour eux et pour tous ».
Le vaccinodrome de Sant’Egidio, établi dans les locaux de l’Ospedale San Gallicano tout proche, profite de la force de travail du personnel soignant de la Communauté de Sant’Egidio épaulé par une unité de la Croix-Rouge italienne prête à intervenir en cas d’éventuels malaises. Une idée que la Communauté a mise en œuvre en accord avec le général Francesco Paolo Figliuolo, inquiet devant les difficultés à vacciner les personnes marginalisées, sans domicile, souvent pas même inscrites auprès des services de santé nationaux.
« C’est ouvert deux après-midis par semaine et cela fait 350 vaccins par séance. Quand nous arriverons à 10 000, nous ferons une autre fête », dit M. Impagliazzo en souriant.
Liverani Luca
Avvenire, 16 septembre 2021
[Traduction de la rédaction]