La vraie « vengeance » - comme nous l'enseigne un sage juif - c'est la vie.
Une issue simple et difficile
En 2009, Israël Meir Lau, grand rabbin de Tel Aviv puis d'Israël, participant à une commémoration interreligieuse à Auschwitz, organisée par la Communauté de Sant'Egidio dans l'« Esprit d'Assise », s'était exprimé sur ce qu'il a appelé « le plus grand cimetière de l'humanité ». Il avait déclaré : « Dans le camp de Buchenwald, où j'ai été libéré à l'âge de huit ans, sur le mur de la fenêtre de la salle de torture, j'ai vu un mot écrit en yiddish “necumene”, c'est-à-dire “venge-toi”. C'était le dernier mot d'un homme torturé dans cette salle, une victime de Buchenwald. La vengeance. Je me demande : quelle vengeance pouvons-nous accomplir, nous qui croyons au Tout-Puissant ? Mais simplement nous, en tant qu'êtres humains ? Il y a quelques heures, ma petite-fille m'a téléphoné pour me dire : « Grand-père, il y a une demi-heure, j'ai donné naissance à un autre de tes petit-enfants ». Il est né aujourd'hui en Israël. J'ai alors pensé : c'est ma vengeance. C'est ma réponse. C'est ma solution : vivre et laisser vivre ».
Devant l'atroce cimetière du 7 octobre, les mots du rabbin Lau - un survivant de la Shoah - sont une indication précieuse : vivre et laisser vivre, telle est la « necumene », la seule vraie vengeance.
La vengeance, on l'entend crier partout aujourd'hui. L'un des sens de ce terme est « offrir un prix ». Mais quel prix pouvons-nous exiger ou obtenir pour ce qui s'est passé ? Le mot « vengeance » est sur les lèvres de beaucoup : Israéliens et Palestiniens. « Le sang coule, comme les larmes ; la colère augmente, ainsi que le désir de vengeance, alors qu'il semble que peu se préoccupent de ce qui est le plus nécessaire et de ce que les gens veulent : le dialogue, la paix », a écrit hier le pape François. Il semble que la seule solution face à la tragédie soit la violence, les représailles armées, la rétorsion.
Voyons les résultats d'un tel engrenage : plus de 1 400 Israéliens tués, 100 autres otages, Gaza détruite, 2 millions de Palestiniens sans abri, plus de 40 000 morts... La même chose se passe au Liban et l'on craint un embrasement avec l'Iran. Un cercle vicieux de vengeances et de représailles sans fin.
La même dérive s'empare des Russes et des Ukrainiens : des peuples jadis proches et aujourd'hui abyssalement éloignés, dont la haine réciproque s'amplifie démesurément. Ainsi en Afrique, dans le Kivu torturé, au Soudan, ailleurs. Les dirigeants d'un monde chaotique ne trouvent rien de mieux qu'un langage de dureté et de violence, attaché exclusivement à leurs propres raisons. Le « nécumène » semble être le chiffre de notre époque. Mais il existe un moyen de sortir de ce piège infernal. Un chemin simple et ardu à la fois : essayer de comprendre la souffrance des autres. C'est vrai : la souffrance rend aveugle. « Qu'est-ce qui nous rend aveugles et sourds à la souffrance des autres ? - s'est demandée dans La Stampa la psychologue israëlienne Ayelet Gundar-Goshen - Ce que nous voyons sur nos écrans de télévision, ce sont des images de notre propre souffrance, qui nous sont renvoyées. La douleur peut être aveuglante : nous ne voyons rien d'autre que notre propre souffrance. La douleur des Gazaouis est invisible aux yeux des Israéliens, la douleur des Israéliens est invisible aux yeux des Gazaouis. »
Quand on est aveugle, pour voir, il faut sortir de soi, et pour cela, il faut être accompagné. Telle est notre responsabilité collective en tant que citoyens d'un Etat démocratique et en tant que croyants : au lieu de céder au fanatisme qui divise, essayons de comprendre les deux douleurs, en cherchant un moyen de sortir de l'obscurcissement de la vue du cœur. Benoît XVI a écrit dans Deus caritas est que le programme du chrétien est celui du « Bon Samaritain, le programme de Jésus : c'est un cœur qui voit » (n° 31). Un cœur qui voit ne reste pas aveuglé par lui-même mais aide les autres à voir.
Face à la tragédie du Moyen-Orient qui menace de s'étendre toujours davantage, ainsi qu'au retour de la guerre en Europe en raison de l'agression russe contre l'Ukraine, notre attitude ne peut se limiter à la lamentation, à l'invective ou au pessimisme. En tant qu'Européens, nous avons une responsabilité héritée des décennies de paix après la Seconde Guerre mondiale. Au lieu de nous apitoyer sur notre sort, nous devons réagir avec dignité et courage aux défis de notre temps, dont le premier est la guerre. Celle-ci doit être dépouillée de la respectabilité et de la fatalité qui l'accompagnent depuis trop longtemps. Nous devons nous faire entendre avec force dans tous les milieux : la vraie « vengeance » - comme nous l'enseigne un sage juif - c'est la vie.
[ Marco Impagliazzo ]