Alors qu’il est de plus en plus fréquent de se rencontrer à distance grâce à internet, était-il nécessaire que des chefs religieux se réunissent à Rome avant-hier ? Il s’agissait d’une rencontre sobre : la prière de communautés religieuses réunies côte à côte, dans différents lieux du Capitole, d’où les chefs religieux ont proclamé ensemble un message de paix.
Les chrétiens, réunis dans la basilique Sainte Marie d’Ara Coeli, ont écouté le récit de la passion selon St Marc, dans lequel on propose à Jésus : «sauve-toi toi-même». «L’évangile du sauve-toi toi-même - a dit le pape - est l’évangile apocryphe le plus faux, qui met les croix sur les autres». En effet, c’est l’évangile du « nouvel individualisme», qui détermine de nombreux aspects de la vie sociale et économique, et selon lequel le «salut» (succès, autodéfense, survie…) n’est que pour soi-même, indépendamment des autres ou au détriment des autres. C’est l’idéologie qui est à la base des nationalismes, du désintérêt pour la guerre qui affecte les autes, pour l’environnement qui est notre maison commune, comme l’a rappelé le patriarche Bartholomée.
«Personne ne se sauve seul. Paix et Fraternité» : tel était le titre de la rencontre organisée par la Communauté de Sant'Egidio. Dans le respect des mesures rigoureuses dues au Covid-19, les croyants des différentes religions se sont rassemblés pour illustrer de façon visible que le monde ne se sauvera que si nous sommes ensemble. Il se sauvera s’il se réveille de l’indifférence, qui masque souvent un intérêt exclusif pour soi et pour sa partie. Le grand rabbin de France, Haïm Korsia a cité Elie Wiesel : «le contraire de l’amour n’est pas la haine mais l’indifférence». Aujourd'hui - et c’est nouveau - les religions parlent de façon harmonieuse.
Il y a de nombreux chemins qui, depuis le XXe siècle, avec le Concile Vatican II, ont conduit à cette conscience commune qui s’est exprimée en 1986 avec le tournant de la prière pour la paix à Assise, voulue par saint Jean-Paul II, et qui a donné «l’esprit d’Assise».
Le sens de ces «religions ensemble» a été souligné par le président de la République italienne, Sergio Mattarella : «le témoignage des religions est une prophétie qui peut aider le monde à se dégager de la résignation, de la méfiance, des rancoeurs». Elles témoignent à quel point c’est un blasphème de sacraliser la haine et la violence, au moyen d’idéologies religieuses. Il n’est pas question de tomber dans un syncrétisme, acceptable seulement pour des alchimies élitistes ou pour la création d’organisations des religions, mais plutôt de diffuser dans la vie des croyants un esprit de paix. En effet, dans le monde contemporain, si beaucoup peuvent promouvoir la violence et le terrorisme, beaucoup d’autres peuvent construire la paix, même comme simples artisans.
Le monde devient toujours plus indifférent aux «guerres des autres» : conséquence de la concentration sur soi. Il y a trop de guerres ouvertes, et leurs fruits amers sont nombreux, tels les réfugiés, les enfants privés de leur enfance. Le monde doit se libérer ensemble de la guerre. «Dieu - a dit le pape - demandera compte à celui qui n’a pas cherché la paix ou a attisé les tensions et les conflits, de tous les jours, les mois, les années de guerre qui sont passés…». Et le grand imam d’Al-Azhar, par l’intermédiaire de son représentant, a conclu avec cette invitation : «Faisons revenir, sur le visage des gens, le sourire arraché par les guerres et les conflits».
La prière et la paix font partie intégrante de toutes les traditions religieuses, malgré leurs différences. Les religions ne s’adressent pas seulement aux politiques ou aux diplomates (même si le pape a dit : «la paix est la priorité de toute politique»), mais elles recueillent les grandes et petites actions de chacun, les larmes des victimes, les invocations des humbles, montrant une «force faible» de paix. Justement, Paul Ricoeur écrivait : «si les religions ont un sens, c'est de libérer le fond de bonté des hommes, d'aller le chercher là où il est enfoui».
Editorial d'Andrea Riccardi publié le 22 octobre 2020 dans l'Osservatore Romano
[Traduction de la rédaction]