Une réflexion sur les élections aux Etats-Unis: une époque se termine, posant un problème non seulement politique mais moral et spirituel. Editorial d'Andrea Riccardi

Une réflexion sur les élections aux Etats-Unis: une époque se termine, posant un problème non seulement politique mais moral et spirituel. Editorial d'Andrea Riccardi

Le président américain nouvellement élu, M. Trump, et le président sortant, M. Biden, le 13 novembre - Photo de la Maison Blanche
 
Donald Trump a remporté l'élection à la présidence des États-Unis. Le débat sur son éventuelle victoire a duré des années, car le magnat new-yorkais avait toujours dit qu'il voudrait revenir au pouvoir, et même qu'il représentait une alternative à l'Amérique de Biden, de Kamala Harris et des démocrates. 
 
Il ne s'agit pas d'un changement de présidence ordinaire. Je ne dis pas cela pour dramatiser l'événement. Mais ce changement révèle une orientation profonde d'une partie importante du peuple américain qui, perdue et en détresse, cherche une « protection » auprès d'une figure charismatique, courageuse et agressive, qui prend en charge ses intérêts, « l'oint de Dieu », parce qu'il a échappé à une tentative d'assassinat. 
 
Pourtant, cette figure présente plusieurs profils ambigus, sur le plan juridique et démocratique : il suffit de se rappeler l'assaut déroutant contre le Capitole en 2021, lancé par ses partisans. Le vice-président de Trump, Mike Pence, avait promulgué, en tant que président du Sénat, la victoire électorale de Biden et il avait été attaqué par les ultraconservateurs. 
 
La victoire de Trump marque la fin d'un monde : le Grand Old Party traditionnel, dont les racines remontent au milieu du XIXe siècle, est devenu un parti populiste et trumpiste. Mais d'une certaine manière, cette victoire pose également de sérieuses questions aux partisans de Kamala Harris et aux démocrates. La campagne de Mme Harris, qui a beaucoup insisté sur les droits individuels, est trop marquée par l'idéologie woke. Cela ne suffit pas : dans certains États où Trump a gagné, des référendums ont de toute façon approuvé l'extension du droit à l'avortement. S'appuyer sur les droits n'est pas suffisant. Dans ce monde complexe, les gens se sentent perdus et cherchent quelque chose et quelqu'un pour les rassurer. 
 
Les États-Unis connaissent une profonde crise des valeurs et de l'identité, à l'instar du reste de l'Occident. Le monde protestant est en crise depuis des années. C'est ce qui animait une grande partie du leadership Wasp (blanc, anglican, saxon, protestant) qui, jusqu'à hier, jouait un rôle décisif dans le pays. Alors que le néo-protestantisme, celui de la théologie de la prospérité et du néo-évangélisme, prospère. Trump se place émotionnellement mais efficacement dans le vide de valeurs. Il n'est pas un chrétien modèle, mais affirme que l'Amérique « a besoin de la religion. C'est comme un ciment qui la maintient unie et nous ne l'avons pas ». L'instrumentalisation des valeurs et de la foi semble évidente, mais elle ne l'est pas pour la majorité des électeurs de Trump et des populistes. Le nouveau président - comme l'écrit efficacement le New York Times - transforme le parti républicain en une sorte d'Eglise de Trump. Politique, intérêts, foi, confiance messianique en l'avenir de l'Amérique se mélangent. 
 
Des questions subsistent quant à ce que sera la politique du nouveau président : beaucoup s'interrogent en ces heures. Certaines questions, cependant, se posent également pour la politique européenne. Les gauches ne s'épuisent-elles pas, avec des discours très axés sur les droits individuels ? Même au cœur des peuples européens, il y a un désarroi et un vide de repères et de valeurs. Le grave affaiblissement des Eglises protestantes en Europe a créé un manque de références qui étaient essentielles par le passé. D'une situation de vide à l'idée qu'un leader populiste puisse être une réponse, il n'y a qu'un pas à faire. La victoire de Trump met très clairement en évidence que nous ne vivons pas la fin du monde, mais qu'un monde s'est achevé, celui des deux premières décennies du XXIe siècle, et qu'aujourd'hui le problème n'est plus seulement politique, mais moral et même spirituel.
 
Editorial d'Andrea Riccardi dans Famiglia Cristiana du 17/11/2024
 
[traduction de la rédaction]

[ Andrea Riccardi ]