République Centrafricaine: le grand chaos. Entretien avec Mauro Garofalo
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République Centrafricaine: le grand chaos. Entretien avec Mauro Garofalo

Le processus de paix reste au point mort

Le processus de paix reste au point mort, l'ancien président Bozizé, en exil en Guinée-Bissau, peine à gérer sa coalition bigarrée de milices, tandis que la Russie avec le groupe Wagner est plus active que jamais. De son côté, le président Touadéra repart à l'assaut d'un troisième mandat. Une situation explosive et un enfer de violence pour la population

La parole à Mauro Garofalo, négociateur de la Communauté de Sant'Egidio

La population civile de la République centrafricaine souffre terriblement, prise en étau entre des groupes rebelles armés de plus en plus acéphales, et des mercenaires russes du groupe Wagner hors de contrôle.

Le processus de paix est au point mort - ancré à l'accord-cadre de 2019 qui n'évolue pas - mais la présence des contractants russes employés par le président Faustin-Archange Touadéra est plus prégnante que jamais. Un autre fait rend le tout plus fluide et incertain : l'ancien président François Bozizé est en exil en Guinée Bissau depuis le 3 mars.

"Ce qui est nouveau en ce moment, nous a expliqué au téléphone Mauro Garofalo, négociateur pour la paix en République centrafricaine pour la Communauté de Sant'Egidio, c'est que la Coalition patriotique pour le changement de Bozizé a beaucoup de problèmes. Elle est hétérogène, fragmentée, comprend des groupes numériquement importants qui se faisaient la guerre (anti-balaka et ex-Seleka) et qui sont aujourd'hui réunis de force ; en outre, elle manque de direction".

L'idée d'un nouveau cadre de négociation "ne séduit personne et est hors de question : le cadre est celui validé par les Nations unies et l'Union africaine, signé à Bangui en 2019", confirme le diplomate, "il serait difficile d'initier un nouveau processus de paix différent de celui-là".

François Bozizé, président de 2003 à 2013, ne se trouve plus à N'Djamena, au Tchad, "d'où il coordonnait les activités de son groupe, mais a été exilé en Guinée-Bissau, ce qui a fortement affaibli sa Coalition". Un accord tripartite entre l'Angola, le Tchad et la République centrafricaine, signé à Luanda (Angola) le 17 février, a décidé de l'exiler en Guinée-Bissau, pays qui a accepté de l'accueillir pour des raisons "humanitaires".  

L'affaiblissement manifeste de la Coalition ne signifie pas pour autant sa capitulation, ni sa volonté de dialogue, précise le diplomate. La Coalition patriotique pour le changement, bien qu'acéphale, "reste active et compte en son sein des groupes numériquement supérieurs à ceux qui avaient signé l'accord de 2019".

Au grand risque des civils soumis à l'arbitraire. Il y a effectivement eu des discussions entre le gouvernement et les groupes armés qui voudraient réintégrer l'accord de paix, mais nous ne savons absolument pas quand cela se fera et dans quelles conditions", précise encore Garofalo.  

Ainsi, d'un côté Bangui voit un gouvernement plus fort, également grâce au soutien du Rwanda et de la Russie ; et de l'autre, les groupes armés "rebelles" se déplacent sans but, ont des difficultés à se coordonner et se disputent le leadership.

Dans ce contexte, Touadéra, après avoir nommé par décret en novembre dernier un nouveau président de la Cour constitutionnelle - qui avait rejeté une première tentative de sa part d'amender la Constitution pour éliminer la contrainte des deux mandats présidentiels et se représenter en 2025 - revient à l'attaque et appelle à un référendum constitutionnel en juillet.

Les civils, otages des groupes armés

Une situation explosive qui rend la vie impossible à la population, comme le racontent nos missionnaires qui travaillent dans le pays depuis des années. Sœur Elvira Tutolo, de la congrégation de Sainte Jeanne Antida Touret, explique : "Ici, il y a une compétition à qui tuera le plus : les forces armées centrafricaines, le groupe Wagner et les bandes armées des rebelles avec Bozizé... Dans cette confusion, les gens restent impunis. Et le peuple souffre". Puis elle ajoute : "La France et la Russie se battent à distance pour la tête et la vie du peuple centrafricain. Nos jeunes qui avaient applaudi l'arrivée de la Russie, fatigués du comportement de l'ancienne puissance coloniale, commencent à se rendre compte de l'aggravation de leur situation".

Mauro Garofalo souligne que la population est l'otage impuissant des actes de violence de l'armée gouvernementale et des exactions des groupes armés. En toute honnêteté et pragmatisme, dit-il, durant la deuxième année de la présidence de Touadéra, l'État a tenté de réaffirmer son autorité sur les différents territoires. Et de rétablir un peu d'ordre. Mais il reste "un énorme sentiment de lassitude vis-à-vis des groupes armés qui ont mis le pays à feu et à sang".  

Dans ce tableau sombre et de moins en moins rassurant, les armes circulent aisément et les mines antipersonnel sautent quotidiennement. En témoigne l'incident survenu au Père Norberto Pozzi, missionnaire carmélite de 71 ans originaire de Lecco, qui a sauté sur un engin explosif le 10 février dernier et a été immédiatement rapatrié. Dans les pages de son blog, le père Aurelio Gazzera, carme missionnaire à Bozoum puis à Baoro, écrit : "Mercredi matin, nous commencerons une journée de formation sur les pompes à eau, pour nos élèves de l'école mécanique : cela leur permettra de réparer les pompes manuelles qu'il y a dans de nombreux villages du pays". Et encore : "Mercredi après-midi, je pars pour Bozoum, pour accompagner Jana et Ludmila, qui resteront quelques jours. Et aussi pour visiter la communauté. Et cela fait exactement trois mois que la voiture du Père Norberto a explosé en roulant sur une mine. Courage !"

Article paru dans nigrizia.it, traduction de la rédaction @SantEgidioFr


[ Mauro Garofalo ]