Des intrigues, des pressions: il décida dire "non". Editorial d'Andrea Riccardi pour le Corriere della Sera

Des intrigues, des pressions: il décida dire "non". Editorial d'Andrea Riccardi pour le Corriere della Sera

Timide, il avait la fermeté des doux. Peut-être la conscience de ne plus pouvoir diriger le Vatican a-t-elle pesé pour lui

Je terminais d'écrire la biographie de Jean-Paul II et j'eus une conversation à ce sujet avec Benoît XVI, le principal collaborateur de Wojtyla. Ce dernier le tenait en haute estime : " Il est le dernier théologien de Vatican II ", disait-il de lui. Ratzinger, un intellectuel européen reconnu (il était membre de l'Académie française), a intégré les intuitions mystiques et charismatiques de Wojtyla à sa doctrine. Le cardinal l'admirait : "Il a soulevé des continents", écrivait-il à son sujet. Même s'il n'a pas d'accord sur tout, comme la prière interreligieuse à Assise, mais aussi les derniers temps de son pontificat, marqués par une maladie vécue à la face du monde.

Ma conversation avec Ratzinger m'a révélé, une fois de plus, son attitude cordiale, parlant d'égal à égal. Il posait des questions et montrait une grande capacité d'écoute, comme quelqu'un qui a le sentiment de pouvoir toujours apprendre et qui sait peu de choses de la vie. Pourtant, il était bien informé. Je l'ai vu lorsque, lors d'un déjeuner avec les pauvres à Sant'Egidio : il a rencontré des personnes de différents pays et a rappelé à chacun quelle était la situation dans son pays.

Dans ma conversation avec lui, j'ai été frappé, au-delà des discours, par sa façon de gérer les relations. Il m'a fait attendre dans l'antichambre pendant plus d'une demi-heure. Cela n'a pas été un problème pour moi. Cependant, lorsque je suis entré pour le voir, il était contrarié : il s'est excusé de manière excessive pour l'attente, faisant référence au cardinal qu'il avait reçu en audience avant moi, le présentant comme quelqu'un d'un peu intrusif, qui ne respecte pas les horaires. Cela m'a frappé : une personne, comme le pape, a plusieurs façons de congédier un hôte. Mais il n'était pas facile pour lui, timide et doux, de gérer les relations, surtout avec les personnes autoritaires ou insensibles.

Lorsqu'il est arrivé à la Curie en 1981 comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il a partagé avec Wojtyla un projet : " Sortir de la crise de l'Église ; fidélité maximale à Vatican II ; poursuivre la réception du Concile ". Il m'a dit : "Pas de réforme structurelle, mais une réforme spirituelle".

Ratzinger m'a parlé du gouvernement de Wojtyla, qui agissait parfois en dehors des canaux institutionnels, et de la Secrétairerie d'État : "Il y a toujours une dialectique entre la personne et l'institution, même avec la Secrétairerie d'État, qu'il respectait. Wojtyla est venu de l'extérieur. Pour Paul VI et Pie Xll, c'était différent : ils venaient du "Secrétariat". Benoît vient aussi de la Curie. Mais il ne se sentait pas comme un curial et menait une vie réservée. Il n'a jamais eu de gouvernement extra-institutionnel comme Wojtyla ou, d'ailleurs, François : il a utilisé la Curie, mais il en a ressenti le poids.

Un pape malade comme Wojtyla n'aurait-il pas dû démissionner ? "Rétrospectivement, a dit Benoît, nous voyons que c'était une catéchèse de la douleur. C'était un type de gouvernement. On gouverne avec la souffrance. Mais ce n'est pas toujours possible ; on ne peut le faire qu'après un si long pontificat". Benoît n'aimait pas montrer sa maladie. Wojtyla, lorsqu'il a été question de démissionner, a répondu : "Jésus n'est pas descendu de la croix". Le choix de Ratzinger va dans une autre direction. Les raisons de santé ne l'expliquent pas. Ce qui a pesé lourd à mes yeux, c'est la prise de conscience qu'il n'était plus en mesure de diriger l'Église, également parce qu'il était soumis à diverses pressions. Il ne voulait absolument pas que des personnes ou des cercles lui prennent la main dans un gouvernement qu'il considérait comme relevant de sa responsabilité personnelle. Il a donc remis son ministère aux cardinaux et a cru que l'Esprit indiquerait le nouveau pape. Le 4 février 2013, lors du concert donné au Vatican, il annonce au président Napolitano sa démission imminente. Face à un président perplexe et à certaines de ses objections, il a apparemment conclu : "Je n'en peux plus".

Dans la conversation avec Ratzinger, nous avons également parlé de l'origine de Wojtyla et de son messianisme polonais : "C'était un vrai patriotisme, qui à partir d'un peuple souffrant développe l'espérance." "Je l'ai vu souffrant, mais pas triste", a-t-il conclu. Benoît XVI avait en commun avec Wojtyla la conviction que si le christianisme perdait l'Europe, ce serait une tragédie pour toute l'Église, dans le monde. Il n'était pas, comme François, un pape venu de loin.

Allemand, ou plutôt Bavarois, amoureux de Rome et de l'Italie, de la culture française, il se mouvait avec aisance dans les débats politiques et intellectuels du continent. Je lui ai parlé d'une conversation avec Wojtyla, bien des années auparavant. Je lui avais exprimé l'idée que le Parti Communiste italient était différent de ses partis "frères". Wojtyla m'avait regardé d'un air perplexe et critique. Benoît a souri et a dit de manière surprenante : "Non, vous aviez raison. Le PCI a dans son histoire une figure comme Gramsci qui l'a rendu "différent". Et il a parlé en détail de Gramsci.

C'était un homme fort, bien que timide, presque complaisant. Son secrétaire particulier, le père Georg, m'a dit : "Rien ne peut être plus ferme que la décision du doux". Il n'a pas eu l'audace de Wojtyla, qui a convoqué les religions à Assise en 1986 : pour Ratzinger, il y avait des "malentendus", mais aussi des "intentions pures". Il estime cependant que "les religions doivent être des instruments de paix". En fait, il est retourné à Assise pour célébrer le 25e anniversaire de la prière inaugurée par Wojtyla. Tel était son sens de la fidélité à l'histoire de l'Église.

Ratzinger était un homme de foi et un grand intellectuel, un Européen contradictoire et aux multiples facettes, malgré son franc-parler. C'est pourquoi, malgré les dix années qu'il a passées dans le silence, sa figure interroge et intéresse toujours.

[traduction de la rédaction]


[ Andrea Riccardi ]