La montée des Talibans en Afghanistan a ravivé la force politique et idéologique de l'islamisme radical. Depuis la fin des années 1970, avec des hauts et des bas, ces positions sont à l'origine de processus politiques qui aboutissent souvent à la violence et au terrorisme. Aujourd'hui, dans certaines parties du monde, notamment en Afrique, le djihadisme a pris le rôle d'un nouveau "guévarisme", rejoignant le malaise des régions marginalisées, la colère des jeunes exclus et les rivalités ethniques.
Il ne s'agit pas seulement des problèmes de l'Islam. Le radicalisme est une réalité non négligeable dans d'autres scénarios religieux. Cependant, le monde religieux n'est pas dominé par ces tendances, sauf dans certaines situations spécifiques. Non seulement cela, mais les mondes religieux, qui étaient hier encore éloignés les uns des autres, pour ne pas dire hostiles, se sont rapprochés au cours des dernières décennies. L'idée de Jean-Paul II, en 1986, de réunir les religions à Assise pour être ensemble et prier, était une vision plutôt qu'un programme de travail. Cette vision a été proposée dans un monde qui se détachait de la guerre froide, qui connaissait le fondamentalisme, mais qui se dirigeait aussi vers des dimensions inconnues. Le cardinal Ratzinger, face à la vision d'Assise, était préoccupé qu'elle puisse favoriser le syncrétisme, selon lequel une religion en vaudrait une autre.
Mais le monde changeait et se mondialisait : vivre ensemble parmi des personnes différentes devenait la réalité, tandis que les existences séparées étaient des survivances sectaires. En fin de compte, la vision d'Assise est devenue un lieu d'atterrissage pour divers mondes religieux, qui ont repensé l'espace de l'autre dans une pratique de dialogue et de coexistence.
Cette semaine, à Rome, des croyants de différentes religions se réunissent pour une rencontre organisée par la Communauté de Sant'Egidio, qui priera avec le pape François au Colisée. La chancelière Merkel participera également à la réunion.
Ce ne sera pas la seule réunion de ces jours-ci dans la capitale : une rencontre interreligieuse a été consacrée à la Cop26 à Glasgow, un événement perçu comme décisif dans la lutte contre le changement climatique. Une autre rencontre interreligieuse porte sur le thème de la religion et de l'éducation. S'agit-il de rituels, voulus par des représentants religieux aux prises avec l’évanescence de leur message, et qui finissent par se couler dans un dialogue politiquement correct ? La question est plus complexe : elle concerne le processus de dialogue qui vient, comme je l'ai dit, de loin, mais aussi l'impact de la pandémie sur les mondes religieux. La pandémie a révélé l'incapacité de nombreuses communautés religieuses à accompagner les fidèles dans l'expérience nouvelle et douloureuse d'une dimension dangereuse, illimitée et mondiale.
François, dans la Statio Orbis du 27 mars 2019 sur la place Saint-Pierre, a manifesté, en langage évangélique, " cette appartenance commune (bénie), à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères."
En outre, l'encyclique Fratelli tutti, il y a un an, a développé un discours sur l'humanité commune et la fraternité en partant également du dialogue du Pape avec le grand Imam sunnite Al-Tayyeb. Ce dernier est une personnalité qui, dans le monde musulman, avec l'autorité d'Al Azhar, la plus importante université musulmane, a non seulement représenté une position solide contre les dérives radicales, mais a tracé une voie d'acclimatation de l'Islam aux dimensions mondiales. Le document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, signé par lui et François en 2019, est une large plateforme, loin d'être considérée comme acquise, pour la rencontre et l'engagement des croyants sur les scénarios de la mondialisation. Le patriarche orthodoxe de Constantinople, Bartholomée, fort de son autorité, avait lancé depuis des années un discours sur les religions et l'écologie, repris à plusieurs reprises par des représentants de diverses religions (par le pape François lui-même dans Laudato sì). Ce sont là quelques-uns des processus en cours dans le monde des croyants, dont les événements et les réunions ne sont que l'émergence.
Le rabbin Jonathan Sacks, une grande personnalité du judaïsme européen, récemment décédé, posait dans son dernier livre le problème du "changement climatique culturel" : la crise du "nous", l'affirmation du "je", la crise de la communauté à tous les niveaux et de l'appartenance commune. Face à l'urgence de l'écologie sociale et humaine, Sacks voit dans les religions des acteurs pertinents pour "rétablir le bien commun en temps de divisions". C'est cet humanisme global que les religions, de différentes manières, semblent communiquer à nos sociétés : "Un pays est fort, conclut Sacks, lorsqu'il prend soin des faibles... il devient riche lorsqu'il prend soin des pauvres... il devient invulnérable lorsqu'il prête attention aux vulnérables". C'est le paradoxe des religions, qui exprime une limitation et un dépassement de la banalité du langage avec lequel nous parlons du présent et de l’avenir.
[Andrea Riccardi]
Editorial paru dans le Corriere della Sera, traduction de la rédaction