Le 15 avril 1921, naissait Settimia Spizzichino, la seule femme ayant survécu à la rafle du ghetto juif de Rome survenu le 16 octobre 1943. 1022 personnes furent déportés vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Seuls Settimia et 16 hommes retournèrent chez eux.
Au cours de sa vie, elle a témoigné aux générations les plus jeunes de l’horreur de la guerre et de l’antisémitisme, en délivrant un message de paix. Nous nous rappelons Settimia avec une vidéo de la marche du souvenir organisée en 1998 avec la Communauté de Sant'Egidio et la Communauté juive de Rome, ainsi qu’avec son histoire, extraite du livre « Les années volées. »
"Ce sont des choses que nous voulons tous oublier. Mais pas moi. Moi, toute ma vie, je veux me rappeler de tout, même de cette expérience terrible qui s’appelle Auschwitz : deux années en Pologne (et en Allemagne), deux hivers, or en Pologne, on ressent vraiment l’hiver ; c’est un assassinat…même si le froid ne fut pas la pire chose.
Tout cela fait partie de ma vie, et surtout fait partie de la vie de tant d’autres personnes qui ne sont pas sorties vivantes du camp. Envers ces personnes j’ai un devoir de mémoire : je dois me rappeler pour raconter aussi leur histoire. Je l’ai promis quand je suis revenue à la maison ; et cette résolution s’est renforcée tout au long de ces années, particulièrement chaque fois que quelqu’un osait dire que tout cela n’était jamais arrivé, ou n’était pas vrai.
J’ai une bonne mémoire. Et puis ces deux années, je les ai racontées tant de fois : aux journalistes, à la télévision, aux hommes politiques, aux jeunes des écoles pendant les nombreux voyages que j’ai fait pour les accompagner à Auschwitz... même si je ne suis pas toujours entrée dans les détails.
A Auschwitz, on souhaite retourner – plusieurs de ces jeunes le souhaitent aussi – et cela peut sembler étrange à certains. Mais pourquoi ? C’est comme d’aller au cimetière pour y déposer des fleurs et une prière. – Je racontais cela dans le bus qui nous amenait en Pologne. On parlait dans le bus, quand on arrivait à Auschwitz, c’est la guide qui parlait et les choses parlaient d’elles-mêmes. Les peu de choses qui sont restées. C’est un musée, mais les fours crématoires, les chambres à gaz, les constructions en briques ont été détruites. La première fois que j’y suis retournée, j’ai éprouvé plus de désillusion que d’émotion, je ne reconnaissais pas le lieu.
Durant les 50 années qui se sont écoulées, j’ai souvent été sollicitée pour écrire ce livre… Et je voulais le faire ; mais il y avait encore la famille de ceux qui sont restés là-bas, les parents, les frères, les maris, les fils de mes compagnes du groupe de travail. Nous étions 48 et moi seule suis revenue vivante. J’ai vu mourir nombre d’entre elles ; pour les autres, je sais ce qui leur est arrivé. Comment raconter à une mère, à un père que leur fille de 20 ans est morte de la gangrène, à cause des coups reçus par un Kapo ? Comment décrire la folie de quelques-unes de ces filles à ceux qui les aimaient ? Maintenant, nombre de parents, de frères, de maris ne sont plus là : les blessures ne sont plus aussi fraîches. A ceux qui restent, j’espère ne pas faire trop de mal. Mais maintenant je dois respecter la promesse que j’ai faite aux 47 filles qui sont mortes à Auschwitz, mes compagnes de labeur. Ainsi qu’à tous les autres millions de mort du camp nazi.
Ma sœur Giuditta faisait partie aussi de ce groupe. Giuditta, si belle, si fragile, qui fut déportée le même jour que moi, le 16 octobre 1943. Giuditta, cause involontaire de mon arrestation ainsi que celle de ma famille."
(Du livre "Les années volées" de Settimia Spizzichino)