L'inauguration de Notre-Dame de Paris a attiré l'attention de très nombreuses personnes. Presque autant que la terrible nuit de l'incendie, le 15 avril 2019, où les yeux du monde entier se sont braqués sur ce qu'Aldo Cazzullo appelle à juste titre la « cathédrale du peuple ». D'autres cathédrales françaises ont subi des incendies. Mais pour Notre-Dame, c'est différent. Peut-être parce qu'elle est visitée par des millions de personnes chaque année. L'« invasion » touristique n'a cependant pas étouffé la vocation religieuse du monument, grâce à la gestion intelligente de l'Église de Paris. En France, le catholicisme n'est pas aussi fort qu'en Allemagne (où il a connu des débats synodaux éprouvants), ni qu'en Italie, dotée de la contribution économique des citoyens (bien que récemment réduite), mais il a de la profondeur et de la résilience dans une société qui a fait de la laïcité son idéologie.
L'incendie de 2019 a représenté un choc. Est apparu la métaphore de l'Église qui brûle : le déclin des fidèles, du clergé, de l'influence sur la société. Presque la manifestation de la « phase terminale » du catholicisme, selon le politologue Jérôme Fourquet. Les croyants, les non-croyants, les "croyants à leur manière", ont ressenti un sentiment de vide et de fin. Comme l'a dit Corrado Augias, « nous avons besoin du christianisme, parce qu'il n'y a plus rien d'autre ». L'incendie semble être une métaphore des décennies de sécularisation. L'effondrement de tant de cadres de référence traditionnels a poussé des masses de citoyens à chercher à se rassurer, au point de recycler le nazisme en Allemagne, de renouer avec le fascisme ou le traditionalisme populiste et nationaliste. Car pour beaucoup, il est difficile de vivre dans un monde complexe sans repères, sans identité et sans frontières défensives.
Lors de la réouverture de Notre-Dame, le président Macron a interprété tout cela : « Vertige de découvrir que Notre-Dame pourrait disparaître et que nos cathédrales sont elles-aussi mortelles ». Oui, vertige de tant d'Européens, qui se découvrent enfants du vide, oublieux de l'histoire. Vertige d'un christianisme évaporé, réduit à des cercles ecclésiastiques ou à un langage peu attrayant autour de tables synodales, mais surtout - c'est là le problème ! - oublié par trop de gens, surtout après le Covid, quand les églises ont fermé. Vertige de l'Occident chrétien. L'Occident se réfugie vers des « idoles » rassurantes, oublieuses de l'histoire tragique dans laquelle elles ont été conçues.
Les célébrations des 7 et 8 décembre ont montré qu'il ne suffit pas de restaurer des ruines, mais qu'on peut se relever : fierté française de la décision politique et de la capacité institutionnelle, mais aussi pathos partagé. Les italiens peuvent rougir, pensant aux ruines laissées par nos tremblements de terre. C'est ce que j'ai ressenti dans les allées bondées de la cathédrale. Mais comment Notre-Dame se relève-t-elle ? Monument ou être vivant ? Telle est la question. Non, il ne s'agit pas d'un nouveau Colisée, mais d'une cathédrale, dans un entrelacement d'art, de foi et d'histoire. La cathédrale est propriété de l'Etat, mais le souffle de vie vient de la foi du peuple. Macron et l'archevêque de Paris, Mgr Ulrich, ont établi ce lien dans une stricte laïcité, mais avec créativité.
À Notre-Dame, le monde était là : Français, Européens, dirigeants de nombreux pays. Le président Trump n'a pas manqué l'occasion de représenter les catholiques américains, en tant que coryphée des valeurs (les Américains ont été parmi les plus grands contributeurs à la reconstruction, réalisée grâce à des dons du monde entier). Comme les cathédrales du Moyen-Âge, c'est le peuple qui a payé la reconstruction. Trump et Musk ont été émerveillés par une telle beauté liturgique et artistique.
La laïcité éclairée du président, le courage des pompiers, le travail de tant d'ouvriers et de spécialistes, la contribution de beaucoup, bref, l'engagement d'un peuple soudé par le message de l'Église : « la grandeur de cette cathédrale est inséparable du travail de tous... Monseigneur, a dit M. Macron, s'adressant à l'archevêque, Notre Dame de Paris vous est rendue ». Même si le président a joué un rôle, le cœur de la célébration était liturgique : symboles anciens, frappes sur la porte avec la crosse de l'archevêque, sonnerie des cloches, silencieuses depuis des années, la messe, jusqu'à l'onction et la consécration du nouvel autel... tandis que la lecture de la Bible illuminait l'événement. L'Église de France ne se glorifie pas du triomphalisme des pierres, mais se cantonne à la liturgie, qui exprime une alternative d'espérance au vide occidental.
L'Église minoritaire de France a redécouvert le peuple et s'est adressée à l'Occident et au monde, en partant de l'histoire, écrite à Notre-Dame, et en s'exprimant dans la liturgie. Elle a contourné les débats sur le réformisme dans l'Église, qui intéressent peu de monde, et s'est limitée à la « pauvreté » de la foi et de la prière, en célébrant des rites au symbolisme éloquent, même s'il n'est pas partagé par tous. En mondovision, devant jeunes et vieux, Mgr Ulrich s'est adressé à l'orgue (silencieux depuis cinq ans) dans un dialogue symbolique : « Réveille-toi, orgue, instrument sacré : entonne la louange de Dieu... ». Une invitation polie lancée à la conscience et à la culture, à parler et à chanter à nouveau avec foi. Quel en sera le résultat ? Difficile à dire. C'est un processus. Mais sur l'île de la Cité, à Paris, portes ouvertes, un être vivant est solidement implanté : la cathédrale, d'une beauté et d'une éloquence rares, qui nous rappelle combien la dimension de l'esprit est décisive dans l'existence personnelle et dans la vie sociale, surtout face à un avenir complexe et guerrier.
[ Andrea Riccardi ]