Tribune d'Adriano Roccucci parue dans Avvenire
Près de deux ans et demi après son déclenchement, la guerre à grande échelle engagée en Ukraine se poursuit avec une forte intensité. Les nouvelles qui parviennent aux réseaux d'information et à l'opinion publique, souvent distraite par la fatigue ou l'habitude, témoignent de morts et de destructions, tandis que le climat politique et culturel dans le monde est de plus en plus dominé par une orientation belliqueuse. Dans ce contexte, revenir au raisonnement sur l'importance de l'engagement humanitaire ne représente pas la défense d'intérêts partisans - ceux de la coopération - ni un refuge consolateur face à une insignifiance proclamée. C'est au contraire une nécessité incontournable, motivée par un sain réalisme, et un investissement clairvoyant dans la paix.
L'engagement humanitaire découle aussi d'une vision lucide et réaliste de la guerre. L'idée que le retour irrésistible de la guerre en Europe - dans les années 1990, déjà, un conflit avait embrasé les Balkans - nous a enfin obligés à ouvrir les yeux sur l'inexorable réalité de l'histoire, s'accompagne souvent de la dénonciation d'une prétendue "illusion pacifiste", fondée sur une fausse perception du monde d'où la guerre serait bannie. En réalité, à la base de l'action humanitaire et de la recherche de la paix qui l'accompagne et la motive, il y a l'attitude non pas de ceux qui détournent le regard de la guerre, mais de ceux qui la regardent droit dans les yeux, voyant les yeux des victimes de la violence de guerre. C'est précisément le réalisme d'une connaissance profonde des conflits, de leurs conséquences, de la condition des personnes, qui guide l'action humanitaire et la recherche de la paix. Celui qui cherche la paix fixe son regard sur la guerre, avec empathie à l’égard de toutes les victimes. Il peut en résulter une intelligence qui permet de répondre aux besoins des populations touchées, d'imaginer l'avenir, d'explorer les chemins de la paix.
C'est d'autant plus vrai dans le conflit ukrainien, auquel la communauté internationale ne semble pas émue par l'urgence de mettre fin. Des échéances électorales sont attendues, on veut comprendre quel sera le prochain rapport des forces politiques, tandis que l'on appuie sur l'accélérateur de l'option militaire, que les bombardements de missiles s'intensifient, comme le rapporte le journal Avvenire, et que les combats sur le front se poursuivent âprement.
Mais c'est la population ukrainienne qui continue de souffrir le plus de cette guerre. Selon les données de l'ONU, sur 33,3 millions d'habitants, 14,6 millions d'Ukrainiens ont besoin d'aide humanitaire. Ces derniers mois, la situation s'est détériorée. Les bombardements russes ont fait des victimes parmi la population civile, détruit des maisons, des hôpitaux et des écoles. La mise hors service des centrales de production et de distribution d'électricité a gravement endommagé le système énergétique, entraînant des coupures de courant régulières et prolongées dans tout le pays. Cette situation, qui affecte gravement la vie quotidienne des Ukrainiens, devrait s'aggraver au cours de l'hiver et entraîner une crise humanitaire majeure en raison du risque de paralysie des systèmes de chauffage. La situation des personnes déplacées à l'intérieur du pays, estimées à environ 3,5 millions, reste grave, en raison également des difficultés financières de l'Etat ukrainien qui a dû suspendre une partie des subventions qui leur étaient allouées. Par ailleurs, toutes les données attestent de l'appauvrissement général de la population, à commencer par les plus vulnérables : les personnes âgées, les personnes handicapées, les enfants et les femmes.
Un regard réaliste sur la guerre en Ukraine ne peut que partir de ces données, et de bien d'autres que l'on pourrait ajouter. Ne pas détourner le regard, c'est donc prendre la responsabilité d'un engagement humanitaire qui, de quelque point de vue que l'on se situe, constitue une priorité politique à l'égard de l'Ukraine.
Investir dans l'humanitaire, c'est déjà construire la paix, même lorsque l'horizon reste orageux. Cela permet de panser les plaies ouvertes par le conflit dans le tissu social. Lorsque la violence cruelle de la guerre triomphe, pénétrant les esprits et conditionnant les comportements, l'humanum semble ne plus avoir sa place dans la vie de la société. Il est donc urgent de mettre en place une solidarité concrète, libre, réfléchie, qui s'adresse aux femmes et aux hommes, qui défende leur dignité et la valeur de leur vie, qui poursuive la justice, qui promeuve une logique alternative à celle de la guerre.
L'engagement humanitaire est une rébellion contre la guerre et sa logique de fer. Construire la paix n'est pas la recherche de la formule parfaite, presque magique, qui n'existe pas. Construire la paix est un travail laborieux, c'est un processus, souvent long et complexe, fait de tentatives, de canaux de communication à ouvrir et à maintenir ouverts, de relations de confiance à établir et à consolider, de dialogue à poursuivre avec audace, constance et intelligence.
L'engagement humanitaire est la première étape fondamentale de ce travail complexe en faveur de la paix. Il commence en regardant la guerre, les victimes de la guerre, droit dans les yeux. Parce que la recherche de la paix n'est pas pour notre tranquillité d'esprit, elle est d'abord et avant tout pour les Ukrainiens.
[ Adriano Roccucci ]