Editorial d'Andrea Riccardi paru dans le Corriere della Sera
Le cardinal Zuppi a effectué des visites à Kiev, Moscou et Washington pour tenter de renouer le fil d'un dialogue qui permettrait enfin de mettre fin au conflit en Ukraine.
Le pape François est depuis longtemps convaincu que les conflits actuels sont interconnectés. Il a souvent parlé d'une "guerre mondiale par morceaux". Dans le monde global, les crises se communiquent avec intensité : il suffit de regarder l'affaire des céréales russes et ukrainiennes, dont la pénurie menace d'affamer de nombreux pays. De plus, avec l'agression de la Russie contre l'Ukraine, un conflit tout sauf local, le premier en Europe depuis 1945 (différent des guerres qui ont suivi la dissolution de la Yougoslavie), s'est profilé et a pris de l'ampleur. La position de François a été sensible au drame du peuple ukrainien, car la guerre ne se déroule que sur le territoire ukrainien et ce sont les Ukrainiens qui en paient le prix. Le Saint-Siège et ses représentants savent parfaitement qui est attaqué et qui est l'agresseur.
Face au conflit, Bergoglio exprime un sentiment similaire à celui des papes du XXe siècle à l'égard des guerres, en particulier des guerres mondiales. Le Saint-Siège considère la guerre comme un "massacre inutile". Benoît XV l'a dit en 1917, ce qui lui a valu d'être accusé de saper le moral des combattants contre les Austro-Allemands (au point d'être rendu responsable de la défaite de Caporetto). Pie XII, à la veille de la guerre, en 1939, face à un Troisième Reich qui s'apprête à envahir la Pologne, lance un appel au monde par radio : "Rien n'est perdu avec la paix. Tout peut l'être avec la guerre. Que les hommes recommencent à se comprendre. Qu'ils recommencent à négocier".
Le point de vue de François sur la guerre se trouve dans Fratelli Tutti : "Chaque guerre laisse le monde dans un état pire qu'il ne l'a trouvé. La guerre est un échec de la politique et de l'humanité, une reddition honteuse, une défaite devant les forces du mal". Au cœur de la guerre, le Saint-Siège cherche les voies de la paix, en tout cas d'une paix juste, et poursuit l'effort d'aide humanitaire pour atténuer les coups de la guerre sur les populations et les combattants. Il le fait systématiquement dans les conflits.
La mission du cardinal Zuppi, qui a commencé à Kiev, où il a évoqué le drame humanitaire du pays et rencontré le président Zelensky, s'inscrit dans cette vision. L'importante aide humanitaire de l'Eglise est un soutien à la résistance de la population ukrainienne. Le cardinal Krajewski, "ministre de la solidarité" du pape, s'est rendu six fois en Ukraine avec des chargements d'aide : "le pape veut être proche de ceux qui souffrent", a-t-il déclaré. M. Zuppi s'est ensuite rendu à Moscou, première personnalité "occidentale" à visiter la capitale russe. Il a été reçu par le conseiller pour les affaires internationales, Ushakov, et non par Poutine. Le problème humanitaire ukrainien a été au centre des discussions, également à la demande du gouvernement de Kiev. Une confrontation directe entre le gouvernement russe et le Saint-Siège n'avait pas eu lieu depuis un certain temps.
Le "voyage" du cardinal, au nom du pape et avec l'aide de la Secrétairerie d'État et des nonciatures, ne s'est pas arrêté là. L'étape de Washington ne pouvait être manquée, notamment en raison des relations historiques entre le Saint-Siège et les États-Unis, depuis la Seconde Guerre mondiale, puis en surmontant la guerre froide (malgré le désaccord sur les guerres en Irak). Les Etats-Unis sont le leader de l'aide à l'Ukraine, mais ils ont également veillé à ce que le conflit ne s'étende pas, impliquant le territoire russe et les armes atomiques. La perspective américaine est de soutenir l'endiguement de l'attaque russe par l'Ukraine. Le Saint-Siège tend à réduire les dommages humains et à rechercher des voies de paix (non encore identifiées) pour parvenir à la fin des combats, la justice et la sécurité. Les États-Unis, malgré leur vision globale, ressentent l'importance du "leadership mondial" de François et du Saint-Siège. La longue et cordiale conversation entre le président Biden et l'émissaire du pape l'a montré.
Même pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis tenaient à être en contact avec la vision du Saint-Siège, plutôt que de le pousser à se ranger de leur côté, comme l'ont fait les autres alliés. Comme le montre la mission de Zuppi, le Saint-Siège n'est pas placé sur le même plan que les autres acteurs internationaux, mais il n'est pas neutre non plus : c'est pourquoi il a la capacité de représenter un point de vue qui, au premier abord, peut sembler un peu détaché de ceux qui sont impliqués dans le conflit (y compris les secteurs catholiques), mais qui a sa propre valeur. L'intérêt des pays visités et d'autres dans l'accueil de l'émissaire du Pape en est la preuve. En témoigne le fait que les gouvernements s'interrogent sur la diplomatie vaticane en la matière. À long terme, les visions des papes se sont révélées d'un grand intérêt, y compris pour la reconstruction de relations basées sur la confiance et la sécurité entre les gouvernements.
[traduction de la rédaction]