En ces jours où une vague de froid s’est répandue dans toute l’Europe, entraînant souvent des conséquences tragiques, Sant’Egidio continue de se préoccuper, dans de nombreuses villes, de ceux qui vivent dans la rue et organise des prières pour ceux qui sont morts à cause des difficultés de la vie et de l’inhospitalité. De ces nombreuses célébrations, nous reportons ici quelques photos de Bologne, Dudapest et Barcelone ainsi que l’homélie du Cardinal Matteo Zuppi, prononcée le 13 février à l’occasion de la mémoire de Modesta et Tancredi dans l’église Saints Barthélemy et Gaëtan de Bologne.
Crédits photos (Budapest) : Magyar Kurir
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La Parole de Dieu nous guide toujours davantage que nous ne le pensons. Souvent, nous l'écoutons peu et dans la précipitation. Parfois, nous cherchons ce dont nous avons besoin ou pensons qu'elle peut nous aider, souvent pour qu'elle nous dise ce que nous voulons entendre. En réalité, tout se passe comme aujourd'hui : c'est la Parole qui nous cherche pour nous aider à comprendre, à être nous-mêmes, à nous aider à décider, à nous apprendre la vraie mesure de nos jours et à acquérir un cœur sage. C'est Jésus qui se laisse toujours trouver par nous, qui sommes souvent distraits ou, comme les pharisiens, convaincus de voir et d'entendre.
Aujourd'hui, c’est presque devenu une tradition, nous faisons mémoire de Tancredi et avec lui des nombreuses personnes qui meurent dans la rue. C’est incroyable : dans la rue ! On en revient toujours au constat amer et déconcertant : "Il n'y avait pas de place pour eux". C'est une défaite pour tout le monde. Vivre et mourir dans la rue doit provoquer l'indignation, sans ambiguïté, sans justification. On ne doit pas mourir dans la rue, on ne peut pas vivre dans la rue, perdu dans l'anonymat de la foule comme ce qui n'est pas aimé. Mais attention : sans amour, plus rien n'est important et avec la distanciation de l'indifférence nous finissons tous par être dépouillés des apparences dont nous pensions qu’elles garantissaient distinction, valeur, sécurité, avenir.
Aujourd'hui, nous nous souvenons de ceux qui sont oubliés par les hommes mais pas par Dieu. Et c'est Dieu qui nous apprend à nous en souvenir, dans la vie et dans la mort. Ils sont comme une litanie de saints, les plus petits des frères de Jésus. Nous prononçons leurs noms parce que l'amour nous les fait connaître un par un, les arrachant à leur catégorie ou à leur condition, mais pas à leur histoire et à leur personnalité.
Nous nous souvenons aussi des visages de beaucoup, que nous avons commencé à distinguer en nous penchant sur eux, en les regardant dans les yeux, en établissant un lien d'amitié qui nous permet de découvrir tant d'humanité, de dignité, de pensée. Nous allumerons des cierges dans la foi en Dieu qui est lumière et qui vainc les ténèbres de la mort. Nous voulons aussi allumer l'amour pour ceux qui vivent dans les rues aujourd'hui, en nous souvenant de l'invitation du pape François dans l'encyclique Fratelli Tutti à ne pas seulement donner du pain à ceux qui en ont besoin dans l'urgence, mais à combattre les causes de la pauvreté et à trouver des solutions qui les libèrent de la rue et habillent tout le monde avec une pleine dignité.
Quelques recommandations : les traiter avec gentillesse, comme nous le souhaitons pour nous-mêmes ; les écouter et les prendre au sérieux, comme nous aimerions qu'on le fasse pour nous ; être patients, comme nous l'exigeons pour nous-mêmes ; ne pas abandonner, comme nous espérons que les autres le feront face à nos problèmes, même s'ils ne sont pas faciles, voire précisément parce qu'ils ne sont pas faciles ; chercher des solutions réelles et non provisoires. Si nous sommes attachés à une idée, il nous arrive d’abandonner immédiatement et en pensant que ne peut rien faire.
Si nous aimons les sans-abri tels qu'ils sont, nous rencontrerons beaucoup de gens portant un fardeau d'histoires vraiment difficiles. Ils sont comme nos quelques pains et poissons qui permettent à Jésus de rassasier la foule et pas seulement la foule, mais tout le monde, y compris nous-mêmes. Jésus n'enlève rien à personne : il donne à tout le monde et il établit aussi que le pain est pour tout le monde et que rien qu'en pensant à tout le monde, nous l'obtenons aussi. Jésus ne demande pas de sacrifices, mais un don, et ce n'est que de cette façon que le peu devient beaucoup, et ce n'est que si nous pensons à satisfaire tout le monde que nous serons satisfaits nous aussi.
Dans la mémoire d'aujourd'hui, nous contemplons le rêve de Dieu : des frères et des sœurs, ou plutôt, les petits frères et les petites sœurs de Jésus qui sont les plus aimés parce qu'ils sont les plus petits. Elle nous aide à voir spirituellement l'histoire humaine que nous rencontrons et à la comprendre dans la contemplation des signes spirituels. Nous sommes tous poussière et nous avons tous besoin de sens, de ce qui ne finit pas, d'un amour qui nous revêt de dignité.
Nous sommes des mendiants et des pèlerins dans ce monde. Sa force, on peut le dire, est précisément notre faiblesse ! Nous n'avons plus à chercher une force que nous n'avons pas, qui nous blesse, que nous volons aux autres ou que nous n'atteignons jamais ! Le vrai changement, c'est la compassion.
Ce n'est pas un sentiment inutilement romantique qui nous donne bonne conscience pour pas cher. La compassion change la vie et nous fait réfléchir entre disciples. Lorsque nous perdons la compassion pour les autres, nous nous disputons entre nous ! Jésus nous implique, non pas parce que les disciples n’ont pas assez à manger dans le présent - ce que nous considérons souvent comme trop peu - mais parce qu'il pense à leur avenir.
Ils en auront besoin en cours de route. C'est l'amour qui change la vie, et c'est ainsi qu'un avenir meilleur est préparé pour de vrai ! Pas de vagues promesses ou d'engagements qui ne résolvent pas ou se limitent à l'immédiat. Jésus regarde la foule comme une personne et en elle il distingue chaque personne, c'est-à-dire ce qu’il y a d’unique en chaque homme et chaque femme.
Il ne les aime pas parce qu'ils ont des qualités particulières, mais parce qu'ils ont faim et parce qu'il les voit avec une préoccupation paternelle et maternelle. Il les connaît : il sait qu'ils viennent de loin et doivent aller loin. Ceux qui vivent dans la rue ont leur propre histoire, longue et souvent difficile.
Jésus nous apprend à les comprendre, à les respecter, à ne pas les juger mais à les aimer. La compassion signifie aimer l'autre comme soi-même, et ainsi comprendre le mal qu’on ne voit pas encore. La compassion, bien plus que le devoir et la philanthropie, nous pousse à nous asseoir par terre.
L'évangile semble décrire nos distributions dans la rue : s'arrêter auprès d’eux, dresser la table et faire de la rue une table, un lieu familier. Le service eucharistique complète le pain que nous rompons à l'autel. A la fin de la vie, c'est Dieu lui-même qui élève notre pauvre humanité des mains de Jésus.
Comme il est offensant et inutile de renvoyer les gens, de les repousser ! Le problème est de résoudre les problèmes, pas de les déplacer et de prétendre qu'ils n'existent pas parce qu'on ne les voit pas ou qu'on pense qu'ils concernent les autres ! Même s'ils sont loin, ils sont moins nombreux parce que nous ne les avons pas aidés !
Unissons ce que nous avons et ce que nous sommes pour protéger ceux qui sont faibles et ne peuvent pas s’en sortir seuls ! Protégeons la fragilité de ceux qui vivent dans les rues car elle est le signe d'une ville qui préserve son humanité. Cela commence avec nous. Donnez-leur vous-mêmes à manger, signifie aussi que tout dépend de nous : qu'ils aient ou n’aient pas. Je suis le prochain et mon prochain me concerne.
A travers la foule rassasiée, nous voyons le début du futur banquet du ciel, où les plus petits de ses frères sont accueillis aujourd'hui. "Faites du bien au plus grand nombre et il vous arrivera d'autant plus souvent de rencontrer des visages qui vous rendront heureux", a écrit Manzoni. Oui, pour nous qui sommes méfiants et possessifs, l'Evangile nous explique que le bien ne se perd jamais et que chaque rencontre se réalisera dans la joie et non dans la peur. Mais nous devons faire du bien au plus grand nombre, à commencer par ceux qui n'ont personne pour se souvenir d’eux.
Merci Jésus de t'être fait mendiant pour nous et de nous libérer de la peur de donner ce que nous avons. Avec Toi, nous sommes tous rassasiés, personne ne manque et notre voyage, parfois si incertain et fatiguant, est toujours accompagné de Ton amour.
Donne à nos frères la lumière de ton amour et accorde-nous d'être lumineux et forts dans l’amour.
Genèse 3, 9-24 / Psaume 89 / Marc 8, 1-10