Des musulmans à la messe. Une accolade décisive
Des croyants en chemin de paix. Avec patience et sagesse
par Marco Impagliazzo
On se demande depuis longtemps comment affronter le terrorisme dans sa violence atroce et imprévisible. C’est une question qui parcourt les sociétés européennes lesquelles, en particulier en France, sont touchées violemment et de façon répétée : leurs citoyens poursuivent leur vie de chaque jour, dans les lieux et les espaces publics, en se sentant menacés. C’est une question qui est devenue plus angoissée après l’assassinat du Père Jacques Hamel dans l’église, à la fin de la Messe. A ce jour les réponses apportées ont été faites sans céder au piège de la haine et de la vengeance, avec le renforcement de la cohésion sociale et de la cohabitation pacifique. C’est précisément ce que les terroristes cherchent à perturber et à détruire. Ils veulent frapper la cohabitation de gens de religions différentes, en inoculant le virus de la haine. Le renforcement des systèmes d’intelligence et de sécurité est bien évidemment nécessaire. C’est la réponse de la civilisation du droit, qui est celle de l’Europe, à la barbarie du terrorisme meurtrier.
Or, dimanche dernier, dans les églises de France et d’Italie, cette réponse a été rehaussée par un geste extraordinaire. De nombreux musulmans qui vivent en Europe, y compris leurs responsables religieux, se sont rendus dans les églises pour manifester leur solidarité et leur proximité aux chrétiens, en ce moment de douleur et de consternation. Le geste a été salué avec sympathie par les évêques italiens et français. Il a été bien accueilli par les fidèles. On a enfin compris que la réponse au grand mal du djihadisme assassin passe par la mise en commun de toutes les forces morales et religieuses qui rejettent la terreur et qui croient qu’il est possible de vivre ensemble en se dissociant de toute forme de violence. Ces forces-là existent, même si elles sont parfois cachées. Elles peuvent faire rempart au terrorisme. Il y a aussi les nombreux, les très nombreux musulmans qui ont choisi de faire sentir leur présence, leur choix en faveur de la paix et du refus de la violence. Ils constituent la grande majorité, bien qu’ils forment une réalité très complexe, issue de diverses provenances nationales, et peinent parfois à émerger, assaillis par des radicalismes croissants. Le geste de dimanche dernier a montré qu’il est nécessaire de désarmer les mains, mais surtout les cœurs. C’est le grand travail qui nous attend : désarmer les cœurs et effectuer en Europe des choix de plus en plus clairs en direction de la construction d’une société plurielle et solidaire.
Nous sommes destinés à vivre ensemble en tout point du monde et nous devons le faire de la meilleure manière possible, en partant, ici, des diversités qui caractérisent les villes européennes. Les récriminations et les préjugés ne changeront pas la réalité de ce pluralisme. La diversité est inhérente à ce qui est humain et nous la portons avec nous. C’est la raison pour laquelle le dialogue est décisif. Même le dialogue simple de la vie quotidienne. Le dialogue n’est pas une technique spéciale ; il ne s’agit pas non plus de se mettre d’accord sur tout. Il s’agit au contraire de se reconnaître ensemble acteurs de l’aventure humaine, de se regarder en face sans peur. Puis, pour les chrétiens, le dialogue est synonyme d’amour. Le contraire du dialogue, c’est la culture du mépris. Entre impuissance et mépris, il ne reste plus rien d’humain.
Jean-Paul II avait voulu, il y a trente exactement, la rencontre d’Assise entre les religions mondiales pour cette raison précise, et à un moment où les religions ne comptaient pas beaucoup. C’est l’« esprit d’Assise » qui, ces dernières années, a donné naissance à de nombreux parcours de dialogue et de rencontre non seulement au niveau des responsables religieux, mais aussi dans les communautés locales. Un esprit qui se fonde sur la prière pour la paix. Ce courant profond de dialogue, de rencontre, de travail pour la paix, vécu ces dernières années dans le sillage d’Assise, n’est pas resté « confiné » aux sommets. Dimanche, il est apparu dans toute sa densité avec la force évocatrice d’un monde meilleur. Nous l’avons vu dans l’accueil réservé par les communautés catholiques, mais nous l’avons également remarqué dans le grand nombre de musulman qui ont visité les églises. Même les médias ont saisi la signification religieuse et civile de ce geste. Il s’agit de continuer à travailler dans cette voie, afin que cet « esprit » soit de plus en plus un engagement et un stimulant pour des choix courageux et continus.
Il faut refuser les destins séparés ou opposés, et travailler pour une civilisation du vivre ensemble dans laquelle les raisons de l’espérance soient placées au centre et non les peurs, les visions d’avenir et non les fermetures. Le dialogue n’est pas un embrassons-nous simpliste, dans lequel les différences s’abolissent, mais une rencontre dans laquelle les distances se raccourcissent et où l’on perçoit le mystère de l’unité humaine (alors qu’il est beaucoup plus facile d’insister sur les différences). Le vœu que nous formulons est qu’en ce temps si dur et exigeant, si difficile et prometteur, ce chemin commun se consolide. Avec patience et espérance.
Avvenire 2 août 2016