Notre chère Angela et le bon Dieu

Notre chère Angela et le bon Dieu

Une foi jamais ostentatoire, une attitude maternelle, un pari sur les réfugiés. Andrea Riccardi, l'un de ses meilleurs amis italiens, raconte une facette peu connue de la chancelière

La chancelière Merkel avec Andrea Riccardi lors de la réunion de prière pour la paix à Muenster en 2017.
Photo Sant'Egidio

 

Une foi jamais ostentatoire, une attitude maternelle, un pari sur les réfugiés. Andrea Riccardi, l'un de ses meilleurs amis italiens, raconte une facette peu connue de la chancelière.

Angela Merkel se rend rarement à la cathédrale de Berlin, située à deux pas de son domicile. Elle ne veut pas être photographiée en train de prier.

Elle cultive une dimension extrêmement privée de sa foi et ne veut pas que cela devienne un spectacle. La Chancelière a toujours pensé qu'être la fille d'un pasteur protestant ne signifiait pas automatiquement être croyant. Mais ceux qui la connaissent bien disent que Mme Merkel est même capable de reconnaître les différentes éditions allemandes de la Bible. Sa foi est solide, et c'est aussi un élan important pour l'un des gestes qui l'a rendue très célèbre : l'ouverture des frontières aux réfugiés en 2015. Ce "Wir schaffen das" qui a marqué une époque, et pas seulement en Allemagne, a également contribué à renforcer les relations avec l'un des Italiens qui la connaît le mieux, Andrea Riccardi.

Au fil des ans, la Chancelière a établi une relation solide et profonde avec sa Communauté de Sant'Egidio : elle a participé aux Prières pour la Paix organisées par Riccardi à Munich et Muenster, elle lui a rendu visite à Rome et l'a accueilli plusieurs fois à Berlin. Pour cette raison, Riccardi est une boussole importante si vous voulez comprendre la Chancelière.

 

Riccardi, comment avez-vous vécu l'un des moments les plus dramatiques de la carrière d'Angela Merkel, son ouverture aux réfugiés " Wir schaffen das " en 2015 ?

"Pour moi, elle a toujours semblé être une grande femme politique en raison de sa capacité à combiner les valeurs humaines, le sens de la responsabilité mondiale et le réalisme politique. Quand elle est venue me voir en 2015, c'était juste avant ce moment. Il y a eu l'épisode de la petite fille palestinienne qui s'est mise à pleurer lorsque la Chancelière lui a dit qu'elle pourrait devoir quitter l'Allemagne. Et, oui, à ce stade, Merkel était une femme pleine de questions. J'ai senti le conflit entre sa conscience chrétienne et les responsabilités de la politique. La Chancelière était parfaitement consciente des risques de tout geste généreux envers les réfugiés, elle savait que cela pourrait avoir des conséquences électorales. Nous avons beaucoup parlé et avons convenu que le moment était venu de rendre l'Europe plus extravertie.

Vous avez toujours été un important "ambassadeur de l'ombre" de l'Italie, et pas seulement dans le dialogue interreligieux. Pensez-vous que ce geste a également été dicté par la foi d'Angela Merkel ?

"Oui. Merkel a une grande capacité à combiner le réalisme de la politique avec le discours des valeurs, le discours chrétien et aussi très protestant, si vous voulez. La Chancelière connaît parfaitement la Bible et sait que dans celle-ci, l'accueil de l'étranger a une grande valeur".

Mais Mme Merkel parle rarement de sa foi.

"J'aime beaucoup sa dimension privée de la foi. Et j'aime le fait que ses mots ne sont jamais rhétoriques, jamais mystiques. La Chancelière cultive un concret éclairé. Et un sens politique d'être une mère. Je ne veux pas dire "Mère de la Nation", mais il est vrai que la chancelière a une attitude maternelle face à la réalité, face au sens des responsabilités, face à son pays".

En Allemagne, lorsque son surnom a surgi dans la CDU, Mutti, "petite mère", a été compris dans un sens plutôt ironique...

"Au contraire, il est important de reconnaître cet aspect. Au fil des ans, Mme Merkel s'est par exemple rendu compte du rôle social important que joue la religion pour maintenir la cohésion de la société. Nous avons souvent parlé avec elle de l'Islam et de l'importance du dialogue interreligieux pour la stabilité de nos sociétés. Elle a toujours participé à nos dialogues interreligieux avec un véritable intérêt et a prononcé des discours très, très stimulants. Et puis il y a son ouverture au "Sud du monde".

Qu'est-ce que ça veut dire ?

"Lorsque je parlais avec Helmut Kohl, je me rendais toujours compte qu'il s'intéressait à l'Europe, à la Chine, aux États-Unis, à la Turquie. C'était le périmètre de ses intérêts diplomatiques. Avec Merkel, c'est complètement différent : elle s'est ouverte à l'Afrique. Nous en avons beaucoup parlé ces dernières années, La Chancelière sait que la Communauté de Sant'Egidio est active dans de nombreux pays européens. Au début, son problème était de faire parvenir de l'aide en Afrique, de veiller à ce que les fonds ne soient pas victimes de la corruption et qu'ils atteignent réellement les populations. Elle a ensuite développé des relations très étroites avec certains dirigeants africains, par exemple avec le président du Niger. Et cette ouverture au Sud a fait d'elle une chancelière véritablement mondiale."

La Chancelière protestante semble également avoir une relation très forte avec le pape François. Beaucoup plus forte qu'avec d'autres papes ou beaucoup plus forte que celle que Kohl cultivait avec Jean-Paul II. Est-ce uniquement en raison de leur solidarité commune avec les réfugiés ?

"C'est vrai, Kohl appelait Wojtyla "l'archevêque de Cracovie", il reconnaissait ses mérites dans le déclin du bloc soviétique, mais il le considérait comme un pape trop conservateur. Mme Merkel entretenait de bonnes relations avec Benoît XVI, le pape allemand. Mais elle a une relation très forte avec François. Ils partagent des thèmes communs tels que les réfugiés ou la lutte contre le changement climatique. Et même lorsqu'il y a eu un moment de manque de convergence, lorsque la crise grecque a éclaté, la forte sympathie personnelle, la profonde compréhension entre eux n'ont jamais fait défaut. Et je crois aussi qu'il y a un autre sujet qui les unit. Ils sont tous deux convaincus qu’il faut créer l'Europe.

 

Interview de Tonia Mastrobuoni avec Andrea Riccardi dans "il Venerdì" de "la Repubblica" du 17/9/2021

[traduction de la rédaction]

Andrea Riccardi est l'une des personnalités politiques et culturelles interviewées par Tonia Mastrobuoni pour son ouvrage L'inattesa (Mondadori), la biographie politique d'Angela Merkel qui sortira en librairie le 28 septembre.


[ Tonia Mastrobuoni ]