États-Unis, il faut dépasser le « voile de la couleur »

Les Afro-américains demandent l’égalité, les blancs se sentent menacés. La politique doit pacifier. Un éditorial d’Andrea Riccardi dans Famiglia Cristiana

 

Les Afro-américains demandent l’égalité, les blancs se sentent menacés. La politique doit pacifier. Un éditorial d’Andrea Riccardi dans Famiglia Cristiana

Le jury du tribunal de Minneapolis a condamné à l’unanimité le policier blanc Derek Chauvin pour avoir étouffé jusqu’à la mort l’Afro-américain George Floyd. Il revient à présent au juge de prononcer la sentence sur le nombre d’années d’emprisonnement. La tension reste très vive. La sentence était attendue par la communauté afro-américaine et par ses défenseurs, en lien étroit avec le mouvement « Black Lives Matter ». Depuis la très sanglante guerre civile, s’est développée une société bien souvent en déséquilibre entre ségrégation unité. 

La société étatsunienne peine à dépasser le « voile de la couleur » qui brouille sa conscience. Des formes d’apartheid ont parfois miné la cohésion du pays, en le rendant injuste jusque dans sa jurisprudence. Pensons à la rivalité des natifs « Wasp » (blancs, anglo-saxons et protestants) avec les Irlandais ; puis avec les Italiens et avec les autres ressortissants européens, jusqu’au grand peuple « latino » d’Amérique du Sud et aux nombreux asiatiques, présentés aux États-Unis comme formant un bloc.

Comme en de nombreux endroits du monde, la question est : comment pourra-t-on vivre ensemble ? Avec la mort de George Floyd, une immense peur a refait surface. La peur vis-à-vis des autres groupes ethniques prend parfois les apparences de différences de classe, mais elle est ancrée dans les préjugés raciaux. La richesse concentrée entre les mains de quelques-uns, les grandes injustices socio-économiques justifiées comme le résultat de la méritocratie, le mythe du self made man dans un pays où « même un fils de pompiste peut devenir président », une protection sociale publique réduite au minimum, tout cela n’est pas d’une grande aide. Un peu partout dans le monde, on revient aujourd’hui aux solidarités primaires. Les États-Unis n’échappent pas à cette tendance générale qui voit ressurgir les vieux modèles de la haine xénophobe. 

Ce n’est pas par hasard que les prisons étatsuniennes sont non seulement pleines à craquer, mais peuplées par une écrasante majorité d’hommes noirs. La solution devient la répression et l’application sévère de la loi, jusqu’à la peine de mort. On supprime le porteur de danger, sans tenter de le soigner ou de le récupérer. La logique qui prévaut dans les débats est la punition, autrement dit la justice rétributive.

Il ne faut pas s’attendre tout de suite à un tournant avec le verdict sur la mort de Floyd. Nous verrons sans doute prévaloir une forme de revanche contre une police considérée (souvent avec raison) comme partiale et au service de la communauté blanche.

Nombreux sont ceux qui parlent d’une nécessaire réforme de la police. La communauté blanche, pour sa part, se sent menacée : elle est en train de perdre sa primauté démographique et socio-économique avec la crise de la classe moyenne. Des défenseurs de la police font leur apparition (Blue Lives Matter, en référence à la couleur de l’uniforme) ; les suprématistes blancs et les milices populistes se renforcent. On a vu ces derniers à l’œuvre dans l’assaut à Capitol Hill, le 6 janvier dernier, avec les forces d’autodéfense. En un mot, la société étatsunienne se polarise.

Or ce n’est pas en se divisant ou en soulignant les différences que l’on trouvera la paix sociale. La cancel culture, qui a le vent en poupe dans la gauche radicale étatsunienne (avec le déboulonnage de statues et les changements de nom de rues), ne crée pas une culture du vivre-ensemble. La guerre raciale, culturelle et sociale étatsunienne, dont Floyd a été la énième victime ne finira que lorsque la rancœur sera dépassée par un patient tissage intercommunautaire fait de dialogue et de justice sociale. Il y a un grand travail à mener qui a besoin de nombreux acteurs et qui attend le signe de pacification que la politique devrait donner.

 

Éditorial d’Andrea Riccardi dans Famiglia Cristiana du 2/5/2021

[traduction de la rédaction]