Des aînés encore plus seuls, une société sans avenir. Propos introductif d'Andrea Riccardi à la lecture du livre "Les personnes âgées et la Bible."

texte paru dans le quotidien Avvenire

Seul un élan spirituel, qui comprend la grâce d'une longue vie, permet de situer les personnes âgées de manière intelligente et affectueuse. Dans une vision purement économique, elles finissent par n’être qu’un fardeau, alors que leur présence est un vrai gage de gratuité et d'humanité.

Les personnes âgées ne sont pas une partie résiduelle de notre population : elles ne sont pas une terre de déclin. Ce sont des citoyens comme les autres ; des membres de la famille parmi les membres de la famille ; des amis parmi les amis. Elles représentent des ressources humaines et spirituelles. Il faut cependant accomplir une révolution culturelle : accueillir pleinement les personnes âgées dans notre société. La personne âgée, qui s’est peut-être retrouvée seule en raison des événements de la vie, a besoin des autres. La dépendance et le besoin d'aide sont plus évidents. Dans un certain sens, les personnes âgées, avec leurs fragilités, suggèrent à la famille, à la société, à l'environnement dans lequel elles vivent d’accomplir une "révolution communautaire" (pour reprendre l'expression d'Emmanuel Mounier).

Mais c'est là qu'apparaissent les résistances et les répulsions d'une société individualiste. Le placement des personnes âgées en Ehpad n'est pas la réponse au problème de leur présence accrue dans la société : ça entraine la concentration des personnes âgées dans un univers à part (qui peut être de bonne ou de mauvaise qualité). C'est le contraire de ce que l'on a appelé "révolution communautaire", qu’il faut réaliser avec créativité à partir des besoins des personnes âgées.

En outre, l'histoire du XXe siècle a montré comment le placement en établissement a été considéré, avec l'expérience et la sensibilité sociale croissante, comme une solution insatisfaisante pour les enfants sans famille ou avec des familles incapables de les gérer (pensez aux orphelinats) ou pour les malades mentaux (rappelez-vous les asiles psychiatriques). Comme alternative, de nombreux processus d'intégration ont vu le jour, y compris les habitats partagés.

Les personnes âgées ont besoin, au moins un peu, d'un tissu communautaire pour entourer leur existence fragile. Il s'agit d'une question qui relève de la compétence des institutions, afin qu'elles puissent s’engager de manière aimable à l’égard les personnes âgées en créant ou en renforçant les structures, les établissements et les réseaux de proximité au service de ceux qui ne peuvent pas s’en sortir seuls. Mais elle exige une "conversion" de la part de chacun, de la famille, de la société et de l'Église elle-même. Nous sommes tous appelés à cette conversion communautaire, en nous penchant sur la condition de la personne âgée.

Ce livre, qui interroge la Bible à partir des personnes âgées, veut accompagner ce processus de conversion et nous guider à travers les obscurités du présent vers une vision plus large et plus intégrée. Et puis, en se mesurant aux figures bibliques des personnes âgées, on est toujours confronté à soi-même, quel que soit son âge. Aussi parce qu'il y a toujours (je l'espère) un aîné potentiel en nous. Créer un avenir différent pour les personnes âgées d'aujourd'hui est aussi un travail pour celles de demain.

Seule un fort élan spirituel, guidant à la compréhension de la grâce d'une longue vie, permet de situer avec intelligence et amour cette réalité dans la société d'aujourd'hui. Car dans une vision purement économique et fonctionnaliste, les personnes âgées finissent par n’être qu’un fardeau ou une réalité de peu de valeur. Leur présence est plutôt un "gage" solide de gratuité, et donc d'humanité et de spiritualité pour tous.

Méditer sur les personnes âgées dans la Bible permet de comprendre la valeur d'une société qui n'est pas unidimensionnelle, qui n'est pas construite sur les dimensions du ‘moi’ ou dans une mesure fonctionnaliste. Le pape François, en visite à la Communauté de Sant'Egidio en 2014, avait déclaré : "Je vois parmi vous également de nombreuses personnes âgées. Je suis heureux que vous soyez pour eux des amis et des proches… Lorsque les personnes âgées sont mises au rebut, lorsque les personnes âgées sont isolées et que parfois, elles s’éteignent sans affection, c’est un mauvais signe ! Comme est belle en revanche l’alliance que je vois entre les jeunes et les personnes âgées, dans laquelle tous reçoivent et donnent ! Les personnes âgées et leur prière sont une richesse pour Sant’Egidio. Un peuple qui ne prend pas soin de ses personnes âgées, qui ne prend pas soin de ses jeunes, est un peuple sans avenir, un peuple sans espérance. Parce que les jeunes – les enfants, les jeunes – et les personnes âgées font avancer l’histoire… Et on met au rebut les personnes âgées, à travers des attitudes derrière lesquelles se cache une euthanasie masquée, une forme d’euthanasie. Elles ne servent pas, et ce qui ne sert pas est mis au rebut. Ce qui ne produit pas est mis au rebut. "

Placer les personnes âgées au cœur de la famille, de la communauté ou de la société, c'est le début d'un changement humain radical, que nous avons appelé "révolution communautaire". C'est l'indication qui ressort des paroles de Jésus : "La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle" (Mt 21, 42). Les personnes âgées sont en quelque sorte la "pierre d’angle" à partir de laquelle on peut commencer la reconstruction de la société. Après la crise du coronavirus, dans laquelle les personnes âgées ont payé un prix très élevé, nous devons repartir d’elles pour reconsidérer la vie de façon moins individualiste et moins économiste.

Seul un élan spirituel, qui comprend la grâce d'une longue vie, permet de situer les personnes âgées de manière intelligente et affectueuse. Dans une vision purement économique, elles finissent par n’être qu’un fardeau, alors que leur présence est un vrai gage de gratuité et d'humanité.

Andrea Riccardi
[traduction de la rédaction]