Les damnés de la Méditerranée frappent à notre porte. Un éditorial d'Andrea Riccardi

La pandémie n'a pas arrêté ceux qui fuient les lieux que le pape a défini comme véritables Lagers et qui cherchent un port d'attache en Europe. Quant à la Libye et au Liban, ils traversent désormais une crise profonde.

Deux histoires terribles de bateaux de réfugiés, l'Ocean Viking et la Talia, reproposent un problème dramatique de la Méditerranée. La Talia, navire destiné au transport d'animaux, que les Maltais font attendre avec la procédure ordinaire interminable, est devenue célèbre grâce à une image rappelant la Pietà de Michelange: un marin syrien aidant un réfugié squelettique, qui ne pouvait plus marcher, à descendre à terre.

C'est une image qui a secoué de la torpeur ceux qui s'étaient habitués à ces histoires. L'Ocean Viking, navire d'une ONG, a attendu pendant onze jours l'autorisation du gouvernement italien pour débarquer.

Son chargement humain, 180 personnes, brosse le portrait d'une sorte d'Onu des damnés de la terre: 60 provenant du Bangladesh, 46 du Pakistan, 17 de l'Egypte, 16 de la Tunisie, 11 du Maroc, 6 du Ghana, trois du Soudan, trois du Cameroun, un du Nigeria, un du Mali et un de la Côte d'Ivoire. Les mesures de sécurité pour éviter le coronavirus rendent plus complexes chaque opération. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas seulement faire le décompte des accostages, mais nous devons affronter le problème dans toute sa complexité. Les prochains mois - il s'agit de mois et non d'années - seront défiés par cette réalité. 

Tout d'abord, la question libyenne: les migrants/réfugiés piégés dans une guerre sans fin, parfois torturés ou utilisés comme esclaves par les Libyens. Le pape a défini les camps de détention en Libye comme étant des lagers. Là se trouvent environ 50 000 migrants, parmi lesquels des femmes et des enfants.

Plus que les laisser dans des conditions inhumaines ou les voir emprunter les dangereux chemins de la mer, il s'agit de programmer une évacuation, dont l'Italie peut prendre l'initiative avec la collaboration d'autres pays européens. De cette manière on soustrait des vies humaines aux risques des voyages et à des conditions inhumaines. C'est une urgence qui demande d'intervenir très rapidement.

La deuxième question grave, mais en perspective, est le Liban, pris en étau dans une crise politique et économique sans pareil. Un pays, pendant des décennies titubant, qui risque aujourd'hui vraiment l'effondrement. Là, outre les 250 000 Palestiniens depuis toujours accueillis (mais non intégrés et logeant dans des conditions terribles: ceux qui ont visité Sabra et Chatila, les camps de réfuigiés où ils vivent, le savent bien), se trouvent un million et demi de Syriens, en grande partie sous tente. Quelques-uns retournent en Syrie, mais pas toujours en sécurité.

Il faut multiplier les couloirs humanitaires pour les Syriens. L'Europe est intervenue plusieurs fois pour sauver le Liban. Au pays des cèdres, l'Italie a environ 1 000 militaires dans le cadre des forces armées de l'Onu. Sont nécessaires une reprise d'initiative politique européenne au Liban ainsi qu'un sauvetage de l'économie, malgré des conditions politiques précaires. La Méditerranée ne peut pas se permettre une autre crise. Et les Libanais et les réfugiés ne le méritent pas. Ou bien avons-nous l'intention de nous en remettre entièrement au complexe jeu russo-turc ou arabo-iranien, oubliant que la Méditerranée est également notre mer ?

Enfin, la crise du Covid-19 a fait revenir dans le jeu l'Afrique, dont l'économie est à plus de 60% informelle, dans les rues et sur les marchés. La désertification déplace les populations. Le terrorisme islamiste, derrière lequel apparaissent des intérêts précis, capable d'enrôler un monde de frustrés et de rejetés, menace des régions entières. La question africaine doit être mise à l'ordre du jour de la communauté internationale pour son bien et celui des équilibres du monde. On ne se sauve pas seuls, mais en cultivant la paix, la sécurité et le développement dans le monde entier.