"Jésus vient à la rencontre de qui est dans la tempête". Le souvenir des vies brisées des migrants dans l'homélie de Mgr Stefano Russo lors de la veillée de prière "mourir d'espoir"

Le texte de l'homélie

"Nous devons apprendre à partager pour grandir ensemble, sans laisser personne de côté. La pandémie nous a rappelé que nous sommes tous dans le même bateau". Mgr Stefano Russo, secrétaire général de la Conférence Episcopale Italienne, a rappelé les paroles du pape François lors de la Journée mondiale du migrant et du réfugié, lors de la veillée de prière "mourir d'espérance" dans la basilique Sainte-Marie-au-Transtevere. En présence des réfugiés, des migrants et des réalités qui se font "proches" du drame des migrations, il a été fait mémoire de qui a perdu la vie dans les longs voyages en Méditerranée ou par voie terrestre pour rejoindre l'Europe.


Basilique Sainte-Marie-au-Transtevere, 18 juin 2020

Veillée de prière "Mourir d'espérance", en mémoire des réfugiés qui ont perdu la vie 
Homélie de Mgr Stefano Russo, Secrétaire général de la CEI

Mc 4, 35-41

Très chers frères et soeurs,

Nous célébrons la veillée de prière “Mourir d’espérance”, en communion avec le pape François. Les images pascales qui l’ont vu en prière sur la place Saint-Pierre déserte sont restées gravées de manière indélébile dans notre cœur et ont rejoint les extrémités de la terre, caractérisant particulièrement notre temps que je définirais « hors du temps ». Réécoutons ses paroles, en portant dans le cœur non seulement les attentes personnelles, mais faisant également nôtres celles des réfugiés, des migrants qui, tout au long de cette année et plus encore pendant le temps exceptionnel de la pandémie, vivent et meurent dans la recherche désespérée du salut.

“Comme les disciples de l’évangile – a dit le pape – nous avons été pris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse. Nous nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles et désorientés, mais en même temps tous importants et nécessaires, tous appelés à ramer ensemble, tous ayant besoin de nous réconforter mutuellement”.

Aujourd’hui nous sommes réunis avec de nombreux amis, hommes et femmes ayant franchi la Méditerranée ou sont arrivés en Europe par voie terrestre: beaucoup parmi vous ont perdu dans la douleur amis et parents. Nous sommes ensemble, avec la Communauté de Sant’Egidio, et avec vous tous qui faites de cette mémoire un appel à la conscience des chrétiens, de la société civile et des peuples :  Centro Astalli, Caritas Italiana, Migrantes, Federazione Chiese Evangeliche in Italia, Scalabrini Migration International Network, Acli, Associazione Papa Giovanni XXIII, Associazione Comboniana Migranti e Profughi. J’espère vraiment n’avoir oublié personne. Que cette précision ne semble pas formelle. J’ai cité des sigles, des noms d’associations qui peuvent paraitre éloignés à ceux qui ne sont pas familiarisés avec ces réalités, mais en vérité à chacun de ces sigles correspondent des personnes qui se dépensent chaque jour pour vivre cette proximité qui devient une obligation du cœur quand, comme chrétiens, nous nous rendons compte que cette réponse à l’appel que le Seigneur adresse aux hommes et aux femmes de notre temps peut devenir importante. Cette assemblée liturgique s’élargit aux nombreuses personnes qui sont en liaison avec nous et aux autres veillées qui se tiennent à Rome, en Italie et dans le monde.

Le Seigneur Jésus vient à la rencontre de ceux qu’il aime tandis qu’ils sont dans la tempête, comme sur la mer de Galilée. Paralysés par la terreur et par la peur, les Douze croient voir un fantôme, car il semble impossible de marcher sur les eaux, d’avoir raison de la nature et des adversités. Et pourtant le Seigneur avance, avec ces mêmes paroles qui traversent toute l’Ecriture : « Confiance ! c’est moi, n’ayez plus peur ! ». Marcher sur les eaux, dominer les forces obscures du mal : tout advient dans la foi et dans l’accueil des propositions de l’évangile. Des propositions qui, dans certains cas, peuvent apparaitre difficiles à mettre en pratique. Pensons à l’amour pour les ennemis ou à l’amour et le soin pour l’inconnu, roué de coups et abandonné, représenté par le Bon Samaritain, encore étranger à un christianisme timide et peu empathique.

Mais tout est possible à Dieu. Et tout est possible aux disciples, quand ils croient et se confient en lui. Les vents contraires sont certes forts, et ceux qui en souffrent le plus sont les pauvres : pendant la pandémie, comment ne pas penser à qui est contraint de vivre dans les camps de réfugiés surpeuplés, à qui ne voit aucune échappatoire ? Comment ne pas penser à l’Afrique, à l’Asie – pensons aux Rohingyas –, au camp de Moria à Lesbos, qui se trouve déjà en Europe, ou à ceux qui s’amassent à ses portes ? Ou loin de nous, à Tapachula, face à la frontière avec le Mexique ? Ou encore aux Syriens, dans les camps du Liban ? Des lieux de douleur où, plus encore qu’avant, manquent la nourriture, les vêtements, les tentes, les soins. Le confinement durcit des conditions déjà invivables, avec des hommes, des femmes et des enfants dans l’incapacité de respecter la distanciation sociale et sans accès à l’eau pour se laver, avec la terreur d’être exterminés par le virus. Combien de prières s’élèvent des 50 millions de déplacés internes qui peuplent les divers continents ? Combien de prières s’élèvent des réfugiés détenus en Libye, soumis à des abus en tout genre, et de ceux en fuite qui sont de nouveau rejetés ?

“Nous en avons tous la responsabilité, personne ne peut se sentir dispensé” , a rappelé François lors de l’Angélus, dimanche 14 juin, en s’exprimant au sujet de la situation en Libye.

Si nous sommes ici c’est parce que non seulement nous ne nous sentons pas dispensés, mais également parce que nous savons que Jésus n’est jamais indifférent, au contraire : il est monté sur la barque de ses amis et sa présence calma les eaux. C’est donc sa présence qui nous donne de nouveau l’audace et la force de la prière et du geste. Et n’oublions pas, en ce temps après la Pentecôte que ce n’est pas le vent de la mer de Galilée mais le vent de l’esprit qui poussa les disciples bouleversés à la rencontre de peuples alors inconnus, parlant une langue nouvelle que tous pouvaient comprendre. C’est la langue de l’amour qui, pendant la pandémie notamment, a vu beaucoup de personnes secourir les plus seuls et les plus exposés. Parmi eux nous avons présent à l’esprit les visages de tant d’auxiliaires de vie, d’aides à domicile, d’immigrés et de réfugiés qui ont pris soin des personnes âgées, empêchant qu’elles ne soient abandonnées à la solitude et à la merci de la contagion dans les maisons de retraite. Tant de personnes ont eu compassion et ont apporté leur contribution pour rassasier les personnes sans logement.

Non seulement, mais le pape François, dans le Message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié de cette année, exhortait ainsi : «Nous devons apprendre à partager pour grandir ensemble, sans laisser personne de côté. La pandémie nous a rappelé que nous sommes tous dans le même bateau. Nous retrouver avec des préoccupations et des craintes communes nous a démontré, une fois encore, que personne ne peut s’en sortir seul. Pour grandir ensemble nous devons partager ce que nous avons». Pour ce faire, je voudrais dire un mot sur l’occasion propice qui nous est donné de faire émerger tant d’étrangers, «nouveaux Européens» de la condition d’invisibles, valorisant leur travail et leur présence, précieuse pour l’Italie et pour eux-mêmes.

Dans la prière à présent, résonneront quelques-uns des noms de ceux qui sont morts en tentant de rejoindre l’Europe. Chacun d’entre eux est précieux aux yeux de Dieu. Que Lui, qui n’oublie personne, nous aide, aide nos communautés de croyants, notre pays, et donne de l’espérance à qui cherche un point d’abordage où règnent le bien, la vie, la paix. Amen.

 

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