Oubliée et seule, l’Afrique appelle à l’aide. Un éditorial d'Andrea Riccardi

La pandémie présente pour le moment des chiffres bas, mais une mortalité plus élevée, aggravée par le manque de nourriture, d’eau et de médicaments

Nul ne sait encore avec certitude quel sera l’effet du coronavirus en Afrique. Pour le moment, les chiffres sont bas, même si nombreux sont ceux qui les attribuent à l’absence de contrôle, et le taux de mortalité en pourcentage est déjà plus élevé qu’ailleurs. L’inquiétude est forte ensuite pour l’impact économique de l’isolement. Entre 80 et 90 % des Africains vivent d’activités « informelles » : petits métiers ou travaux domestiques, artisanat et commerces. La fermeture des marchés et l'impossibilité de se déplacer sont dévastateurs.

Dans plusieurs pays et dans les slums autour des grandes villes, des révoltes du pain ont déjà eu lieu. Outre la difficulté d’imposer la distanciation sociale, le problème urgent dans de nombreux États est de fournir de l’eau et de la nourriture à tous.

Dès la diffusion des premières images du désastre européen, les gouvernements africains ont fermé les frontières et imposé la quarantaine à ceux qui arrivaient de l’extérieur. Ils ont cherché à adopter les mêmes règles qu’en Occident, mais cela n’a pas été possible, à cause de la faim. À part des exceptions comme le Rwanda (où le smart working est possible), on utilise généralement à temps le système du couvre-feu. Certains pays ont baissé les bras : aucune interdiction, mais seulement des recommandations. Pourtant, avec une aide extérieure, les États touchés par l’épidémie d’Ebola avaient limité les dégâts. Or aujourd’hui l’Afrique est seule et l'Occident totalement accaparé par lui-même.

Étant donné la précarité des systèmes sanitaires et l’absence de soins intensifs ou respiratoires, il faut investir fortement sur la prévention. Pour l’heure, seuls les Chinois s’occupent de cela. Le monde religieux est en effervescence, en particulier les sectes néo-pentecôtistes. Il y en a qui respectent les règles. D’autres les défient : « C’est la maladie des blancs... Partez ! ». D’autres encore – la majorité – administrent des traitements « miraculeux » au cours de cérémonies très courues. La crise du système de santé a conduit depuis longtemps les Africains à revenir aux soins traditionnels. Pour les plus pauvres, qui constituent la majorité, c’est un drame.

De très nombreuses personnes sont privées de nourriture et de soins, avec une augmentation prévisible du taux de mortalité non liée à la maladie. Ce sont les « victimes collatérales ». Les ONG occidentales encore présentes sur place sont peu nombreuses car les coopérants sont rentrés.

Seules les organisations qui ont vraiment formé des cadres locaux sont en mesure de fonctionner, notamment en se reconvertissant dans la lutte contre la pandémie, comme les programmes DREAM contre le SIDA de Sant’Egidio, les dispensaires des églises ou les hôpitaux de Emergency. La crise impose aux Africains de repenser le système de santé dans son ensemble, mais, à court terme, il faut aider depuis l’extérieur, surtout en matière de prévention.

La note positive est que les Africains, jeunes pour la plupart, ont un niveau de résilience au virus plus élevé. Cela donnerait du temps pour réagir. D’aucuns notent toutefois que des dizaines de millions d’Africains ont un système immunitaire déjà affaibli par le SIDA, la malaria et d’autres infections.

Une nouvelle pandémie pourrait être fatale ou devenir chronique. On attend le vaccin. Si l’Europe sort de son solipsisme apeuré, cela pourra sans doute aider.

L’Afrique ne peut être oubliée. L’espoir de vivre et de résister de son peuple doit trouver en nous tous un point d’ancrage. Sinon un autre désastre africain lié coronavirus constituerait un puissant facteur d’incitation à l’émigration : nous sommes tous prévenus.

 

Éditorial d'Andrea Riccardi paru dans Famiglia Cristiana du 10/5/2020

[Traduction de la rédaction]