On ne joue pas avec le feu. L’antisémitisme et la haine, les devoirs des responsables. Un éditorial d'Andrea Riccardi

dans Avvenire

L’indifférence, ça suffit ! On ne joue pas avec le feu. L’antisémitisme et la haine, les devoirs des responsables

par Andrea Riccardi

Avvenire, lundi 30 décembre 2019

Les nouvelles de faits de violence et de haine se succèdent dans beaucoup de pays. Nous risquons de nous laisser gagner par l’habitude et l’indifférence. Ainsi l’attaque antisémite survenue à Monsey, dans les environs de New York, menace-t-elle de tomber dans l’oubli après un bref moment de condamnation. On s’habitue, malheureusement, à l’antisémitisme tout comme on s’habitue aux protestations à son encontre. Ce phénomène survient dans des sociétés indifférentes : en Amérique du Nord ou en Europe. Des indifférences variées, mais réelles.

La succession des actes antisémites aux États-Unis est impressionnante : « Il s’agit de la treizième attaque antisémite entre le 8 décembre et aujourd’hui à New York », a déclaré Andrew Cuomo, le gouverneur de l’État. Il y a quelques mois en Allemagne, le responsable de la lutte contre l’antisémitisme a conseillé aux juifs de ne pas porter la kippa en permanence. Ses propos ont été démentis depuis, mais ce discours est représentatif du climat qui règne aujourd’hui et que confirme l’augmentation des actes antisémites en Allemagne (comme en France). On ne peut pas s’en tenir à la condamnation rituelle ; il faut aller plus loin pour comprendre le processus inacceptable de la « haine du juif », si nous voulons y mettre un terme et le combattre. Il convient avant tout de garantir la liberté des personnes et la sécurité des sites juifs. Mais cela ne suffit pas.

Les actes antisémites proviennent de différents univers : néonazis ou néofascistes, islamistes, anti-israéliens, suprématistes, milieux nationalistes, groupes sectaires de tous types, comme par exemple lesdits Hébreux noirs d’où est partie l’attaque survenue à Monsey. Il n’y a pas d’affiliation unique. Soixante-dix ans après la Shoah, le stéréotype antisémite est vivace et évolue sur un terrain profond qui sous-tend les généalogies politiques les plus diverses. Il est là, prêt à être employé par ceux qui cherchent un ennemi ancestral à qui attribuer les maux dont ils se sentent frappés ou dont ils croient la société frappée. Il puise dans les sombres profondeurs de l’histoire qui, de manière irrationnelle, paraissent le légitimer. Ces opérations sordides sont favorisées par le climat incandescent de haine qui s’est développé ces dernières années. Ce mélange explosif, toléré quand il n’est pas choyé par un trop grand nombre de personnes, aboutit à des actes violents, voire des actions terroristes.

Il convient de régler ses comptes avec le climat de haine qui imprègne nos sociétés. En cause ici la responsabilité du langage qu’emploient des figures publiques qui exercent une grande influence sur des sociétés désormais largement privées de corps intermédiaires. Comment expliquerait-on autrement le fait que, avec le nouveau ministre de l’intérieur, Luciana Lamorgese, et le discours plus serein du nouveau gouvernement sur l’immigration, les Italiens soient moins préoccupés par ce sujet ? Pagnoncelli observe que l’immigration a reculé de 22 % dans l’échelle des préoccupations des Italiens, soit moins 14 % par rapport à 2018. S’il imprègne le langage des personnalités publiques, le registre du discours alarmiste, de la haine et de l’affrontement a des conséquences sur les gens, parfois au-delà même des intentions des acteurs politiques.

On ne joue pas avec le feu des mots. Le langage de la haine conduit à nombre d’imprévisibles pratiques précisément inspirées par la haine. Aussi, les citoyens, lorsqu’ils votent, ne devraient sans doute pas seulement considérer les promesses, mais aussi le langage des politiques.

Le climat de haine attise et fait resurgir un antisémitisme endémique en Occident. Cette situation est choquante car, ici, à la différence d’autres contextes comme le contexte musulman, on cultive depuis longtemps le refus de l’antisémitisme et la mémoire de la Shoah. Sommes-nous donc impuissants ? Non, assurément, mais nous sommes un monde en crise, replié sur lui-même. Je pense à l’atmosphère que nous respirons dans notre pays. Pourtant, l’une de nos grandes ressources est la liberté avec le pluralisme de nos cultures et de religions. C’est ce qui fait la richesse de l’Europe et de l’Italie. Nous devons aller plus loin et montrer, en particulier aux jeunes et ce dès l’école, que le judaïsme fait partie de notre histoire européenne.

Ne nous contentons pas de déclarations, mais travaillons sur la formation, la culture et l’amitié.

Durant la guerre et l’après-guerre, l’amitié a précisément été la clé qui a permis de créer de nouvelles relations entre juifs et catholiques. En 1950, Giorgio La Pira introduisit en Italie l’Amitié judéo-chrétienne. Aujourd’hui l’Église catholique en Italie est appelée à ne pas se contenter d’avoir clarifié le passé avec les juifs, mais elle doit faire un pas en avant sur la voie de cette amitié, qui devient emblématique pour la société tout entière. Voici que s’ouvrent les années Vingt du 21e siècle, mais leur aurore est malheureusement marquée par des actes antisémites. Nous voulons, quant à nous, que ces années à venir soient vraiment différentes de ce que furent les années Vingt du 20e siècle. Nous voudrions que l’antisémitisme soit définitivement enseveli dans le cimetière des horreurs du passé. Or, cela exige un grand travail, systématique et profond. Ce travail manifestera que le 21e siècle est vraiment nouveau et qu’il n’est pas une continuation du passé.

[Traduction de la rédaction]