Deux émissions spéciales sur les attentats au Sri Lanka avec les commentaires d'Andrea Riccardi et Marco Impagliazzo

Emission spéciale sur TG1 avec Andrea Riccardi [IT]

Emission spéciale sur TG3 avec Marco Impagliazzo [IT]

 

9’30 :
Quelle est la réalité des chrétiens au Sri Lanka ?


Marco Impagliazzo :
Il s’agit d’un million et demi de personnes, en majorité catholiques. Il est significatif que le pape François ait visité ce pays.  L’un des noms qu’il porte est  « la larme de l’Inde », un nom malheureusement très évocateur aujourd’hui : c’est un pays qui ressemble à une larme, par sa forme et sa situation géographique, au sud-ouest de l’Inde. Aujourd’hui les chrétiens pleurent. L’Eglise catholique est très forte, malgré sa situation minoritaire, car c’est une Eglise-pont : un pont entre les différentes ethnies – il y a des catholiques au sein des diverses ethnies, aussi bien cingalais que tamouls. C’est surtout une Eglise d’hommes et de femmes pacifiques qui aujourd’hui subissent de nouveau un très grave acte de violence et de martyre à leur égard. C’est une Eglise guidée également par une personnalité, le cardinal Ranjith, archevêque de Colombo, un homme qui a travaillé de nombreuses années au Saint-Siège, à Rome, au sein de la curie romaine.


14’45 :

(...) Une organisation américaine a établi une classification des pays où les chrétiens sont les plus menacés : sur les 50 pays les plus mal classés, le Sri Lanka arrive au 46è rang, donc pas parmi les plus dangereux... Le monde semble devenir de plus en plus dangereux [pour les chrétiens], on parle de «fer à cheval» de l’Etat islamique allant de la Malaisie à l’Indonésie jusqu’au Sri lanka et au Bangladesh. La menace semble s’étendre...


M.I.: Il y a eu de nombreux attentats et pressions de la part de groupes extrémistes bouddhistes à l’égard de la minorité musulmane ces dernières années. Le danger existait donc qu’une partie de ces musulmans se radicalisent ou soient instrumentalisés par des prédicateurs radicalisés venant d’autres pays du monde, en particulier du Golfe [persique] : telle est l’une des hypothèses ayant cours à l’heure actuelle. Je voudrais à présent insister sur le fait que les chrétiens du Sri Lanka, comme dans le reste du monde, sont des personnes très pacifiques. C’est peut-être la raison pour laquelle ils sont ciblés, comme le sont les touristes car, comme vous le disiez, il y a eu des attentats aussi bien dans les hôtels que dans les églises. Ce qui peut les unir, outre le fait de pouvoir être identifiés comme des chrétiens ou des étrangers – ce qui est en partie vrai – est le fait que ce sont des minorités pacifiques ; ils sont comme des ponts à l’intérieur de cette société, et construisant des ponts, ils vont  aujourd’hui à contre-courant car les identités dont nous sommes en train de parler tendent à l’affrontement, c'est-à-dire à construire des murs. Frapper des chrétiens signifie ainsi faire sauter des ponts.


30’ :
Rappelant les voyages du pape François, on ne peut oublier celui des Emirats arabes unis, où il y a eu la déclaration commune, en présence de représentants du monde musulman (…) Si nous regardons en arrière, avec la guerre au terrorisme commencée il y a désormais dix-huit ans, à l’occasion de nombreux attentats repartait la polémique : « le monde musulman ne se dissocie pas [de cette violence], et des leaders du monde musulman disaient : « Oui mais vous ne condamnez pas les attentats contre l’Islam ». En revanche aujourd’hui je vois que parmi les premières réactions figurent celles de la communauté musulmane du Sri Lanka condamnant l’attaque : il y a un signe positif, une union majeure, grâce peut-être aussi ces dernières années à l’action de ce pontificat, dans la condamnation unanime de ces actes de violence ?


M.I. : Ce que vous dites est très vrai : il y a eu un changement très profond dans le monde musulman sur le thème de la violence. Il y avait beaucoup d’ambiguïtés, ne le cachons pas, aussi de la part des leaders musulmans, sur le thème de la violence en particulier. Mais le terrorisme a « tout brisé », en ce sens qu’il a aussi pesé sur le monde musulman, souvenons-nous qu’en Irak et en Syrie la majeure partie des morts à cause du terrorisme islamique sont des musulmans eux-mêmes. Pendant ces années, grâce notamment à l’autorité du pape François, qui a pris par la main – permettez-moi d’utiliser cette expression aujourd’hui, étant donné que c’est le jour de Pâques – plusieurs leaders du monde musulman qui avaient besoin d’un soutien pour se libérer de ce piège de la violence qui avait justement pris au piège une grande partie du monde musulman, dont le premier est le grand imam d’al-Azhar, avec lequel le pape a signé la très importante déclaration sur la fraternité humaine à Abou Dhabi, et qui a été l’un des premiers à exprimer toute sa solidarité à l’égard de l’Eglise française le jour de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame. Ce sont des gestes petits mais importants d’une nouvelle solidarité qui est en train de naître entre des hommes et des femmes de religion, dans l’esprit d’Assise voulu par Jean-Paul II, des religions unies dans la recherche de la paix, conduisant le monde à se libérer de la violence du discours religieux.


38’
La Communauté de Sant’Egidio est engagée sur le front du dialogue interreligieux : Marco Impagliazzo, après une journée comme celle-ci , d’où repart-on et quelles seront les conséquences sur la cohabitation entre les diverses communautés dans le pays ?


M.I. : Je crois que l’on repart de tout ce qui a été construit jusqu’à présent : nous avons besoin de ponts. Comme je le disais au début, les chrétiens sont une communauté-pont : laissez-moi rappeler l’église saint-Antoine, frappée [par l'attentat] car autour de cette figure de Saint-Antoine – dont une statue fut miraculeusement retrouvée dans la mer par un pêcheur et ainsi a été érigé le sanctuaire dans la ville de Colombo –, dans cette église, vont prier non seulement des chrétiens mais également des bouddhistes et des musulmans. Il y a besoin d’être ensemble pour faire le bien, et le bien ne peut pas être vaincu par un attentat, même aussi grave que celui de ce matin au Sri Lanka. Je crois que l’on repart du fait que tous nous avons horreur de la violence et que le terrorisme est aveugle ; nous voulons voir comment aller de l’avant. Ce sont les yeux qui sont nécessaires, pas la cécité du terrorisme.
 

Photo Corriere della Sera