La rencontre entre le pape et François Hollande. De nouvelles relations entre le Vatican et Paris après les jours de douleur

L'éditorial d'Andrea Riccardi dans le Corriere della Sera

Le meurtre du Père Hamel, le 26 juillet dernier, alors qu’il célébrait la messe, a beaucoup touché le président, originaire de Rouen. Il s’est rendu dans l’église aussitôt après l’attentat. Il a déclaré avec force : « Tuer un prêtre, c’est profaner la République »

par Andrea Riccardi

Le pape François a reçu le président François Hollande en plein été, période pendant laquelle il suspend ses rencontres officielles. Le Vatican parle de « visite privée ». Il y a un caractère personnel dans cette visite, même si l’aspect politique est clair, comme le montrent la présence du ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, titulaire des « cultes » (ainsi que sont définies les religions en France), mais aussi l’évocation de dossiers délicats : les migrations, la sécurité et le terrorisme. La délégation française a également rencontré le secrétaire d’État, Mgr Parolin. Il a été question des chrétiens au Moyen-Orient, sur lesquels la France exerce sa traditionnelle « protection » par cette politique ainsi définie par Léon Gambetta au 19e siècle : « l’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation ».

Le Vatican est l’unique objectif du voyage présidentiel à Rome (seul Jacques Chirac l’a fait, en 1996, en désaccord avec l’Italie). La visite à Rome a commencé par un passage dans l’église nationale, Saint-Louis des Français, propriété de la République, où Hollande s’est recueilli en mémoire des victimes du terrorisme. Lors de la visite présidentielle de janvier 2014, bien qu’ayant tenu une conférence de presse à proximité, le président n’entra pas dans l’église, laquelle conserve un Caravage ainsi que de nombreuses stèles de défunts français. A l’époque, la rencontre avec le pape fut plutôt froide, comme si les deux responsables avaient peu de chose en commun. Il y avait en France l’opposition catholique au « mariage pour tous ». Puis viendrait la non acceptation par le Vatican de l’ambassadeur Stefanini à cause de son orientation sexuelle (fait nié par le Vatican, au point que le pape a reçu par la suite le diplomate en privé, mais jamais clarifié, pas même auprès des cardinaux français). Entre Hollande et le pape, rien n’incitait à une nouvelle rencontre.

Or il y a eu les attaques terroristes islamistes en France, face auxquelles François a constamment fait preuve de solidarité. Le meurtre du Père Hamel, le 26 juillet dernier, tandis qu’il célébrait la messe, a beaucoup touché le président, lui-même originaire de Rouen. Il s’est rendu dans l’église aussitôt après l’attentat (fait non habituel en raison non seulement de la laïcité française, mais aussi de l’athéisme professé par le président). Celui-ci a déclaré avec force : « Tuer un prêtre c’est profaner la République ». Il n’a pas dit « citoyen », mais « prêtre ». Le président a reconnu que la communauté catholique constitue une réalité essentielle pour la République et pour la laïcité elle-même, par une série de gestes, à commencer par la rencontre immédiate à l’Élysée avec l’archevêque de Rouen, Mgr Lebrun, dans la cathédrale duquel il a lui-même été baptisé en 1954. Le lendemain matin, il a réuni, toujours à l’Élysée, les représentants des cultes (catholiques, protestants, juifs, musulmans, hindouistes et bouddhistes) avec ce message : « nous devons être ensemble ». Mais la classe politique française (et les socialistes eux-mêmes) est apparue divisée et incapable d’exercer un leadership national à un moment de crise.

Un autre geste important, le 27 juillet, a été la présence de Hollande, avec les anciens présidents Giscard et Sarkozy, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, où le cardinal Vingt-Trois a célébré la messe en mémoire du Père Hamel. Les fidèles, à la fin, ont applaudi le cardinal et Hollande qui ont quitté ensemble la cathédrale. Mgr Vingt-Trois a tenu un discours de haute portée : un appel fort à l’unité nationale et le refus de s’abandonner à la peur. Le président a noté que tant Mgr Vingt-Trois que Mgr Lebrun ont assumé de manière efficace un leadership moral national dont les politiques eux-mêmes semblent incapables. Du reste, les religieux (en particulier avec la visite des musulmans aux messes dominicales qui ont suivi l’assassinat du Père Jacques) ont fait preuve d’un grand sens des responsabilités dans la crise : une ressource dont la France a besoin. Au point de faire dire au président : « République laïque ne veut pas dire République païenne ».

Il y a ensuite l’aspect personnel entre le président et le pape. Aussitôt après l’attentat, Hollande a cherché François. Ce dernier l’a rappelé, disant savoir qu’il venait de Rouen : « Je suis à vos côtés comme un frère ». Le ton de la conversation téléphonique a bouleversé Hollande qui a redit : « Quand un prêtre est touché, la France entière est meurtrie ». Venant à Rome, il a parlé de sa volonté de dire sa gratitude au pape, ce que l’on a vu dans le caractère chaleureux de la rencontre. A l’aspect personnel s’ajoute le constat, fait par le président, que les religions sont un lien social important dans une société fragmentée et effrayée. L’Église catholique française elle-même, pas toujours appréciée chez elle ni au Vatican, a derrière elle tout un important travail de création d’un tissu social fait de convictions et de relations. Laïcité, pour le président, signifie aujourd’hui « réunir » et « vivre ensemble ».

17 août 2016

Corriere della Sera